Curieux essai que ce dialogue entre un ancien - le 'conservateur' - et un moderne - le "novateur" - , composé par un Saint-Simon agonisant, qui se permet de déclarer hérétique l'ensemble du monde chrétien pour refonder les bases de la religion et de la morale sur un mode proto-socialiste ! Bon, refonder les bases de la religion c'est vite dit, car on voit bien que ce qui intéresse Saint Simon dans le Christianisme, ce n'est pas vraiment la spiritualité, à tel point qu'on se demande en quoi cette vision d'un christianisme sans Dieu est encore chrétienne...


Ce qui importe donc en premier lieu à Saint Simon, c'est la bonne application de la morale chrétienne, qui se résume pour lui dans une seule formule - "tous les hommes doivent se conduire en frères à l'égard des autres" - maxime qui doit permettre de répondre au problème immanent le plus pressant de l'humanité : "améliorer la condition physique et morale de la classe la plus pauvre". Pour Saint-Simon, tout, dans la société, doit être organisé pour la réalisation de cet objectif. Et en tant que cet objectif est logiquement issu de la morale chrétienne, c'est au christianisme de s'en charger.
Un objectif sinon matérialiste, du moins matériel, plutôt qu'une recherche de transcendance ou métaphysique, dont il considère même l'étude comme une faute grave de la part des clergés des confessions chrétiennes, en tant que cette étude irait contre l'urgence du redressement de la classe populaire.


Faut-il pour autant voir dans ce testatement pour un nouveau christianisme une anticipation du marxisme à la sauce charité chrétienne ? Pas vraiment, car on est clairement sur du philanthropisme assez pro-élites, Saint-Simon insistant lui-même pour dire que la seule façon de faire passer le changement souhaité - considérer chaque homme comme son prochain, améliorer les conditions de la classe la plus pauvre - est de le faire dans l'intérêt des classes dominantes. Donc nous sommes très loin de la dictature du prolétariat du communisme imaginée 25 ans plus tard, mais plutôt dans la prolongation des idées des lumières et de la Révolution, et leur application à la société industrielle naissante. La grande idée assez novatrice pour l'époque est quand même cette vision du monde égalitaire et presque utilitariste de Saint Simon.


Sur l'argumentation, le "conservateur" du dialogue n'est rien de plus qu'un faire-valoir pour mettre en lumière les idées du "novateur", dont l'argumentation est parfois, disons-le, un peu légère pour justifier ses points de vue et les condamnations pour hérésie (vraiment...) qu'il se permet d'adresser à l'encontre de l'ensemble du clergé de l'époque. Mais dans la mesure où il ne s'agit pas vraiment d'un texte théologique, mais plutôt d'un pamphlet / testament politique, on lui pardonnera !

Nicolas_Zaural
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le 26 juil. 2021

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