Je n’aime pas les livres militants, mais il faut croire que j’aime me faire mal car je continue à les lire. Dans la série “déconstruction et militantisme woke”, voilà un beau spécimen : un essai publié en 2017 par une jeune journaliste britannique noire dont le titre “Why I'm no longer talking to white people about race” sent déjà bon l'intersectionnalité et la lutte contre les oppressions.
Cet essai fait suite à un article de 2014 éponyme dont la thèse était celle-ci: le racisme des “Blancs” contre les “Noirs” est "structurel", que les Blancs ne peuvent pas comprendre les problèmes et souffrances des “Coloured” - car il y aurait une incompatibilité émotionnelle qui les en empêcherait -, et donc il ne sert à rien d’en parler avec eux.
Le bouquin développe plus en profondeur ce thème avec la structure générale suivante : (1) l’histoire britannique est marquée par un racisme (2) qui persévère de façon “structurelle” dans la société actuelle. Malgré cela, la thèse officielle pour le racisme consiste à invisibiliser les races (“colour-blindness”), une position qui ne permet pas de rendre compte du “privilège blanc” (3) à l’oeuvre, privilège qui consiste simplement, pour les Blancs, à ne pas subir de problème “de race”, car les Blancs n'ont pas de couleur. (4) les Blancs ont tellement peur de perdre leur privilège qu’ils ont le fantasme d’une “black planet”. (5) Les femmes blanches ne sont pas en reste, et, toutes privilégiées qu’elles sont, refusent le mouvement intersectionnel des femmes noires. (6) La question de la lutte des classes, ou de la pauvreté, n’est amenée par les Blancs que comme un alibi pour décrire cette “working class” comme blanche d’abord, de façon à nier les conditions de vie difficile des “Noirs”.


La thèse centrale étant que, dans la société britannique, les blancs sont privilégiés par un système structurellement raciste. Spoiler : le livre échoue à prouver cela, car il se trompe dès le constat.
Reprenons donc tout cela point par point ; attention c’est long.


“Histories”


Le premier chapitre est un rappel de phénomènes historiques, lois, ou faits divers qui ont ponctué l’histoire britannique, et montrer que l’histoire de la Grande-Bretagne depuis plusieurs siècles est marquée par le racisme des “Whites” contre les “Blacks”. Le but est de redonner une visibilité à l’histoire britannique des luttes pour les droits civiques des minorités visibles.
Ce long chapitre est le plus consensuel (car on parle d’histoire), mais il y a déjà pas mal de choses problématiques. D’abord, les notions de blanc et de noir, qui ne sont jamais explicitées et qui interrogent sur le périmètre choisi : l’auteur parle-t-elle seulement de la Grande Bretagne, ou du reste de l’Europe, voire également des Etats-Unis ? Mystère, car le propos semble parfois local, parfois à dimension plus générale. Est-ce que l'opposition "Black" / "White" peut être étendue aux autres minorités visibles ? Mystère aussi.
Le choix des événements relatés et leur non-inscription dans un contexte global posent question. Car en effet, si la Grande-Bretagne a été l’un des principaux acteurs de la traite esclavagiste, pourquoi ne pas rappeler que ce pays a été le premier à l’abolir ? Que les Etats côtiers africains qui vivaient de l’esclavage eux-mêmes n’ont pas compris cette abolition qui allaient contre leurs intérêts ? L’idée n’est pas de donner une médaille morale à la Grande-Bretagne, mais il aurait été juste de dire que l’Europe n’a pas inventé l’esclavage - qui a perduré en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie orientale bien après l’abolition en Europe - mais a inventé l'abolition...
Le reste du chapitre consiste à aligner les anecdotes des bavures policières que l’on ne peut que condamner, mais qui ne disent rien en soi sur l’ampleur du phénomène raciste dans la société britannique. Car aucune étude holistique, aucun chiffre ne permet dans le livre de prouver de façon quantitative la thèse de l’auteur. Dans de nombreux cas, il est même difficile de trancher en faveur de l’explication du racisme plutôt que celle de l’incompétence. On se contente donc de montrer qu’il y a eu et qu’il y a du racisme dans la police, mais on ne montre pas dans quelle mesure ce racisme est ancré, et donc en quoi il serait “systémique”.


“System”


Le deuxième chapitre se concentre bien sur cette notion de racisme “systémique”, “structurel” qui serait à l'œuvre dans la société britannique, et qui entraverait les chances de succès des jeunes Noirs en Grande-Bretagne.
On retrouve d’abord le même défaut qu’au chapitre précédent : aucun donnée n’est fournie, et on devra se contenter de savoir qu’à copie égale, les Noirs sont moins bien notés à l’école, que les Noirs ont moins de chance d’obtenir des entretiens d’embauche, de garder leur emploi en temps de crise, etc. Ce qui est probablement le cas, mais dans quelle mesure ? Jamais le contexte n’est précisé (quelle période ? quel périmètre géographique ?), jamais on ne saura si dans les études montrant ces phénomènes la classe sociale a été neutralisée, donc il est impossible de savoir exactement l’impact de la race dans ces discriminations.
Ce qui est bien embêtant, car le droit non seulement est égalitaire mais condamne formellement toute discrimination sur l’origine ou la couleur de peau, le racisme issu de la société est la seule carte restante à ce militantisme noir pour prétendre à un racisme structurel dans ce pays.
L’auteure critique la “colour-blindness”, la position universaliste consistant à ne pas regarder la couleur de peau, en la considérant “puérile”, mais ne voit pas que c’est le rôle de l’Etat de considérer en droit les individus égaux, et que d’ailleurs c’est cette position universaliste qui a fait reculer les thèses racistes depuis 1945. Comment peut-on qualifier de raciste un système qui fait tout pour être “colour-blind” ?


White privilege”


Le corollaire du racisme systémique, c’est que les Blancs, qui ne subissent pas de discriminations ou d’oppression contre leur “race”, sont en creux “privilégiés”. Evidemment, le terme est très mal choisi, et enrichit la catégorie des concepts militants polémiques forgés à partir de mots dévoyés. Car le privilège renvoie à l’origine à une notion de droit, accordé de façon indû à une minorité constituant une élite. Ici, il est utilisé comme une “non-discrimation” en faveur de la majorité. Rien à voir avec le terme d’origine, mais admettons.
Le postulat est que la couleur n’est rien pour un Blanc, car le Blanc est la normalité dans le monde. Ce postulat est évidemment faux à l’échelle du monde, et il suffit d’aller en Afrique ou en Asie orientale se voir infliger un tarif 2 à 3 fois supérieur au tarif local (même en étant résident) pour s’en rendre compte. Dans ces pays, le blanc n’a pas de privilège en tant que blanc - au contraire -; seulement en tant que riche. Reni Eddo-Lodge doit donc confondre la Grande-Bretagne et le monde, ou l’Occident et le monde (et là c’est du gros ethnocentrisme, à défaut d’être du racisme).
Par ailleurs, c’est un poncif que de rappeler que toutes les cultures humaines cultivent l’entre-soi : ce qui est ‘normal’ dans un pays arabe ou subsaharien n’est bien sûr pas le normal en Europe. Mais considérer déjà que tous les habitants sont égaux est une avancée éthique formidable qui ne va pas du tout de soi, car plutôt contraire aux instincts biologiques humains (voir “the expanding circle” de Peter Singer). Que dans un pays blanc à 90% (et historiquement 100%) les représentations soient blanches ne choquera que les plus mauvais en maths - ou les individus de mauvaise foi.
Un des principaux corollaires de ce white privilege est que le racisme contre les Blancs ne peut pas exister, car le racisme est “structurel” et donc ne peut être exercé que par les Dominants. Ce qui est à la fois faux et dangereux. Faux car il repose sur la réduction arbitraire du racisme au seul racisme structurel, ce qui équivaut à considérer par sophisme que parce qu’il y a des transports publics, tous les transports sont publics, et que les modes de transport privés (taxis, covoiturage) n’existent pas. Ou que, parce qu’il y a beaucoup de Hollandais qui vont en Côte d’Azur, il ne peut pas y avoir de Provençaux aux Pays-Bas. Ensuite, négliger le racisme potentiel venant de “dominés” car il serait négligeable - et pas si grave que ça en fin de compte - est une erreur politique / morale tragiquement illustrée par le génocide rwandais, et qui d’ailleurs n’a aucun sens en droit, qui s'applique à des individus et non des communautés aux contours indéfinis.


Mais on aura bien du mal à convaincre quelqu’un comme Reni Eddo-Lodge, car pour elle, tout “coloured person” qui échoue d’une façon ou d’une autre est victime de racisme, et en douter, c’est être aveuglé dans son “privilège blanc” et refuser de reconnaitre le racisme systémique. L’argumentation, tautologique, tourne en rond, irréfutable. Persuadée d’avoir raison, mais sur ses gardes, elle voit tous les Blancs comme des ennemis potentiels de sa cause et en vient à confesser qu’elle se sent plus à l’aise à parler avec des personnes ouvertement racistes car au moins, elle connaît leur position... Triste situation d’une militante fanatisée qui ne voit plus le monde qu’en noir et blanc...


Le white privilege, comme un aboutissement des contradictions d’une lutte anti-raciste devenue fanatique, est devenu un terme permettant aux plus radicaux de ces militants “racisés” de s’accorder le droit d’essentialiser leurs adversaires (“White people playing divide & rule”) alors même que - rappellelons-le leur - leur cause consiste à l'origine à lutter contre les discriminations et les préjugés... Mais attention, ils ont trouvé la parade ! C’est la “white victimhood” : les Blancs brandissent le racisme anti-blanc pour éviter d’avoir à parler du racisme systémique. Contre des gens qui exigent d’eux de la cohérence, ils répondent donc par un procès d’intention sous forme de raisonnement circulaire. Ce n’est pas vraiment comme ça que ces nouveaux militants gagneront en crédibilité...


En conclusion, l’auteur affirme que le white privilege est le signe d’une “white ideology” dont le but est de favoriser indûment les Blancs dans la société. Alors même qu’elle reconnaît que le droit est égalitaire, que le droit punit la discrimination raciale, que l’école promeut une société non-raciste considèrant tous les individus de la même manière (la “colour-blindness” si décriée), qu’il n’est pas bon de s’afficher ouvertement raciste car c’est très mal vu... alors même que tout porte à croire que le “système” est contre le racisme, elle finit donc par supputer une “white ideology” pour affirmer son affirmation infondée de racisme structurel. Sans autre preuve pour supporter son existence que quelques discours conservateurs datant des années 1960, ou des slogans du parti de Nigel Farage (slogans xénophobes plus que racistes d’ailleurs), notre auteur se créé donc un grotesque homme blanc de paille pour s’offrir un ennemi à la hauteur de son ressentiment. C’est toute l’imposture de Reni Eddo-Lodge : gonfler la menace, réduire ses adversaires (car de son point de vue les Blancs sont des adversaires) au discours de l’extrême droite pour justifier la radicalité de son fonds de commerce.


Fear of a black planet


Ce que les privilégiés redoutent par-dessus tout, bien sûr, c’est de voir leur privilège remis en question. La plus grande peur du Blanc serait donc de voir sa domination démographique remise en question. L’expression de l’auteure “Fear of a black planet” est doublement fausse : 1) il ne s’agit pas de la peur d’un changement de peuplement de la planète, mais du pays (encore une fois : la Grande-Bretagne n’est pas le monde) ; 2) la peur concerne l’étranger, et pas seulement les noirs, elle est xénophobe, et non raciste. Eh oui, notre auteure, noire, invisibilise l’ensemble des minorités ethniques et religieuses de Grande Bretagne, qui ont tout autant le droit que la “communauté noire” à être opprimées par la White Ideology... En brandissant cette “fear of a black planet”, l’auteure créé un nouvel homme de paille où toute personne qui aurait tendance à défendre la culture britannique (remplaçable par tout pays européen) est assimilée aux tenants du grand remplacement comme Nick Griffin au UK, dans le but de la disqualifier par association.


La “fear of a black planet” est pour l’auteure représentée dans les productions des cinémas britannique ou américain, dans lesquelles les acteurs noirs seraient effacés, imparfaits : on ne pourrait pas s’attacher à eux. Ce doit être un biais de confirmation (partagé ?) car moi depuis 30 ans je constate exactement l’inverse. Des anecdotes sont ainsi empilées pour montrer que les Blancs ont inconsciemment peur des Noirs, ou qu’ils estiment qu’ils ne sont pas au niveau des Blancs (voir par exemple la polémique concernant la possibilité de voir une Hermione noire dans l’univers de Harry Potter). Là-dedans, il y a incontestablement du vrai (même si bien des interprétations rapportées sont discutables, comme le prétendu biais raciste d’Hollywood), mais encore une fois, une somme d’anecdotes n’est pas une bonne démonstration.


The feminism question


On attaque là le chapitre le plus polémique et le plus comique en même temps. Pour l’auteure, le féminisme blanc est une escroquerie car il ne penserait qu’à la catégorie “sexe” ou “gender” sans penser à la “race”. Et - quel affront ! - le féminisme blanc serait lui-même raciste.
Sans vouloir supporter toutes les revendications actuelles du féminisme (dont une bonne partie du mouvement me semble partir en vrille tout autant que l’antiracisme), il y a quand même une différence fondamentale entre le sexe et tous les autres types de “communautés opprimées “: la... biologie. Eh oui, quel que soit le pays, la classe, le milieu, l’opinion politique, religieuse... Eh bien les gamins auront 1 chance sur 2 d’être une fille... Donc le sexisme est bien un sujet qui touche, par définition, tout le monde ; pas forcément le racisme.
Donc faire le reproche à une série (ici Girls, que je n’ai pas vu) de ne pas comporter de personnages noirs... Eh bien non, si les groupes d’affinités dans la vraie vie sont peu mixés du point de vue de la couleur de peau dans un contexte donné (ici New York), pourquoi se forcer dans la fiction à le faire ? Pas que ce soit interdit, mais il n’y a aucune raison pour que ce soit quelque chose d’obligatoire... Eh oui, peut être que si la société considère que la question du sexisme est “plus importante” que le racisme anti-noir ou la transphobie, c’est peut être que plus de personnes sont concernées, et que ce problème transcende les classes sociales...


L’auteure se plaint alors, à ce moment comme à d’autres du livre, d’être couramment dans des situations où elle est la seule noire dans les mouvements féministes. Mais 1) en quoi cela est-il choquant dans la mesure où 5% à peine de la population britannique est noire ? 2) Est ce de la faute des Blanches si les Noires ne se mobilisent pas dans les combats féministes ?


Bref, il est amusant de voir que les armes rhétoriques (les sophismes, épouvantails, et tautologies) des féministes radicales se retournent contre elles quand elles sont utilisées par une nouvelle étoile montante de la galaxie des idéologies post-marxistes. Et que les militants les plus radicaux des différentes causes, à force de s'auto-radicaliser, finissent par ne plus du tout s’entendre et se comprendre, comme des espèces qui étant parties habiter des niches environnementales étanches n’arrivent plus à se reproduire. Mais il est désespérant de voir que l’auteure n’a pas compris que les représentations majoritaires correspondent à l’apparence de la population majoritaire. Et donc n'a pas compris ce qu'est une société.


Finalement, Mme. Eddo-Lodge a elle-même des problèmes avec l’altérité : incapable de comprendre qu’on puisse considérer les individus au delà de leur "race", incapable de penser qu’on puisse séparer la question du sexisme et du racisme, incapable de penser que les gens d’une “race” sont capables de penser par eux-mêmes au-delà des stéréotypes. Ce qui n'entre pas dans son logiciel militant est inintelligible.
Elle ne comprend que le langage de la subjectivité, de l’émotion, du ressenti, de la souffrance. Mais son empathie se limite à ceux qui lui ressemblent (physiquement) et qui pensent comme elle (faut pas déconner) : ainsi, elle se retrouve périodiquement dans ces safe spaces avec d'autres femmes noires, des personnes qui ont vécu ce qu’elle a vécu, et ensemble elles évacuent leur colère et leurs frustrations (ses mots).
On devine au vu du ton de l'ouvrage qu’en effet, cette frustration doit être énorme. Surtout qu’elle est toute entière destinée à un ennemi, seul bouc-émissaire qui par son sacrifice apaise la colère militante : le blanc. Les sociologues de l’intersectionnalité femme / noire, projet noble s’il en est, n’iront pas se demander si les conditions spécifiques de la femme noire peuvent être liées au fait précisément d’appartenir à la communauté noire, et à vérifier les effets d’un machisme spécifique aux communautés noires. Car ce type d'investigation affaiblirait la cause noire. Or, la question féministe est pour elle une question secondaire par rapport à la question raciale, si bien que chez une femme blanche, elle voit un “oppresseur” avant de voir une “opprimée”. Peu importe ce que ces féministes peuvent se dire : elles sont blanches, donc défendent un “white feminist”. Cette essentialisation est ahurissante d’incohérence intellectuelle pour des gens qui disent lutter contre les stéréotypes, discriminations et les oppressions, mais cette logique ne surprend malheureusement plus dans cette ‘arms race’ militante à qui aura la plus grosse oppression : car les “opprimés” ont le droit d’utiliser des stéréotypes pour détruire leurs adversaires désignés.


Une course dont le but revendiqué, est non pas l’égalité, ou même “l’inclusion” des catégories opprimées, mais le renversement entier d’un système qui les considère comme ‘différents’. Reni Eddo-Lodge, amplifiant les erreurs des gauchistes des années 1960-1970, souhaite donc changer la nature humaine. Bon courage.


(Petit aparté: Un exemple montre les ravages du militantisme fanatisé sur la capacité à former une argumentation rationnelle. David Cameron, alors premier ministre, s’est plaint que certaines femmes issues de l’immigration viennent rejoindre leur mari et n’apprennent toujours pas, après plusieurs années en Grande Bretagne, la langue anglaise. Et Cameron d’affirmer que certaines traditions patriarcales de pays étrangers ne sont pas compatibles avec la société britannique. L’auteure, choquée que Cameron puisse parler de “patriarcat”, réplique que la Grande Bretagne est aussi une société patriarcale et donc que le problème n’en est pas un. Par un médiocre tour de passe-passe rhétorique (assimiler de façon équivoque deux situations différentes au même mot, “patriarcat”), elle en vient à la fois à 1) discréditer une problématique sociale pourtant réelle - des individus s’installent sur un territoire en suivant des normes culturelles et morales différentes de la population majoritaire dudit territoire - 2) accuser Cameron d’instrumentaliser le sujet pour s’en prendre aux “Musulmans”... Car la division du combat racial est contraire à la Cause, tout ce qui pourrait s’approcher d’une critique négative d’éléments de cultures ‘étrangères’ (minoritaires, donc opprimées) est tu. Il ne faudrait surtout pas laisser penser que le patriarcat est plus prégnant et liberticide chez certaines communautés que chez les “white”...)


Race & class


Arrive le moment où l’on se dit “et la classe sociale alors ?”, car c’est - à raison - le reproche le plus fréquent fait aux éternels indignés du racisme des sociétés européennes. Le principal message est que toute la working class n’est pas blanche, que la “race” et la classe sont entremêlées. Mais quelle surprise ! Car les mouvements xénophobes européens actuels seraient bien différents si les “étrangers” étaient plus riches qu’eux (voir l’antisémitisme du XIXe-début XXe).
Et sans surprise non plus, l’auteure confond causalité et corrélation pour “montrer” que, comme les Noirs subissent plus de chômage et sont sur-représentés dans le prolétariat, la société est raciste. Et recourt à nouveau au procès d’intention quand elle tente de montrer que la réhabilitation des quartiers de Tottenham qui a impliqué une hausse des loyers fait partie d’un “racisme structurel” car les Noirs, plus présents dans les couches les plus pauvres, auraient le plus de mal à continuer à y vivre. Comme s’il y avait besoin d’autre chose que l’attrait de la rentabilité pour produire de tels effets, que les pauvres soient blancs ou noirs !
Toujours dans le genre “preuves qui ne sont pas”, les quelques données chiffrées citées sont rarement exploitables : par exemple, la statistique indiquant que les Noirs du niveau bac ont des salaires 14% inférieurs aux Blancs (23% pour les diplômé d’université), ne permet pas, contrairement à ce qu’avance l’auteure, de prouver des discriminations ! Car on ne sait pas (je n’ai pas réussi à trouver l’étude) si l’étude a été réalisée toutes choses égales par ailleurs, c’est à dire : en neutralisant les facteurs de domaines d’activité, de métier, de grade, d’âge, voire de région géographique...


Enfin, notre auteure s’en prend aux politiques qui ont décidé de faire de la “white working class” leur priorité, affirmant que parler de “white working class”, c’est dire que ces individus sont défavorisés en raison de leur “whiteness”. Mais ceux qui parlent de white working class, à tort ou à raison, le font car ils estiment que le discours anti-raciste invisibilise les blancs au sein de la working class en mettant l’accent sur l’aide aux populations d’origine étrangère... Je ne dis pas que cela est plus vrai que le discours opposé de Reni Eddo-Lodge - qui consiste à dire justement que la représentation commune de la working class est l’ouvrier blanc -, mais on voit bien là que deux parties portent des constats radicalement opposés et sont incapables de seulement comprendre l’autre. Par mauvaise foi, principalement.


Du côté de l’activisme “noir”, car c’est ce qui nous intéresse ici, la mauvaise foi prend la forme de solides biais de confirmation et des classiques procès d’intention. L’auteure estime que seule le label “white” permet d’évoquer la question de la “working class”, affirmant au passage (plus que sous-entendant) qu’on retrouve là encore le signe d’un racisme systémique. “before all of this working-class talk, class was a political taboo”. Et elle de citer Thatcher et le fameux “there is no such thing as society”. Comme si la considération de la question sociale datait de l’immigration (l’Angleterre n’aurait donc pas d’histoire ouvrière ? de Labor party ? D’histoire syndicale, jalonnée de grèves et manifestations ?), comme si une phrase de Thatcher vieille de 30 ans devait résumer l’état de la “pensée blanche”, comme si Farage était le seul leader d’opinion britannique, comme si cette considération prétendument récente pour la working class n’était qu’une manière de continuer à discriminer les “Noirs”... Toujours, tout ramener à l’antagonisme de races, comme si la société “blanche” était aussi obsédée qu’elle par la question raciale...


There is no justice, there is just us


Le dernier chapitre semble s’intéresser à la question du “What Now ?” militant.
On apprend surtout qu’un Blanc ne sera jamais un bon anti raciste. On daignera lui laisser, s’il tient vraiment à participer, quelques tâches administratives ou à la participation à l’évangélisation de la cause auprès de ses congénères blancs.
Là on pour une fois je rejoins Reni Eddo-Lodge, c’est dans sa critique de l’anti-racisme de solidarité, de l’anti-racisme “to prove a point” : ce concours show-off bigot qui consiste à prouver sur Twitter qu’on est le plus “woke”, qu’on est du côté des bons, qu’on sait pointer du doigt les méchants. Dommage que ce passage arrive après 213 pages !


En conclusion


Malgré la critique qui semble dure (et longue), ce livre est intéressant en ce qu’il montre bien comment une militante radicale de notre époque pense et agit. En prime, le livre plutôt bien écrit, et donc est a un bon potentiel pour radicaliser encore plus une audience déjà conquise.
Mais tout ce qu’il parvient à montrer, c’est que des formes de racisme sont encore présentes dans la société britannique, sans jamais montrer dans quelle mesure, ni prouver leurs conséquences d'un point de vue macroscopique, ni encore en quoi le racisme de la société britannique / européenne serait spécifique. Car non, le racisme n'est pas un problème de blancs ; c'est un problème humain.
L’auteure n’arrive donc pas à prouver les thèses audacieuses qu’elle avance, car elle se trompe dès le constat sur la caractérisation des phénomènes :
- elle confond, volontairement sans doute, racisme et xénophobie, et englobe dans le racisme tout comportement xénophobe, et par “black”, elle signifie tout ce qui n’est pas “Blanc” (donc métisse, voire indien).
- En revanche, elle limite la définition du racisme au “racisme structurel”, ce qui lui permet d’en faire un outil exclusivement au service des “Blancs” pour opprimer les “Noirs”. Et après cela, elle nous demandera d’éviter de voir le monde de façon binaire...
- Mais malgré tout, jamais l’auteure n’arrive à prouver en quoi le racisme dans la société britannique est structurel, en quoi une “white ideology” existerait, qui lui suivrait, et en quoi elle consisterait ;
- Jamais elle n’arrive non plus à prouver en quoi ce racisme structurel, s’il existait, serait la cause des difficultés que connaît la communauté noire.


Utilisant à peu près tous les sophismes en vogue dans le militantisme “woke”, cet essai ne pourra convaincre que les déjà convaincus, et ceux qui n’ont pas encore appris à distinguer les bons raisonnements des fallacieux.

Nicolas_Zaural
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le 10 janv. 2021

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