Avec La Rançon des Molosses, Erikson amorce le grand final de sa décalogie. Ce huitième tome fait vite figure de montagne pour le lecteur, pourtant habitué au roman fleuve de l’auteur canadien. Avec ses 1200 pages bien remplies, ce nouvel opus semble infini.


Dès le début de la lecture, le ton mélancolique et la noirceur imprègnent un récit qui n’épargne rien à ses personnages, nouveaux ou revenants. Sous le choc du décès de son père, Erikson broie du noir et confronte ses personnages au pire. Les intentions sont claires : rares seront les épargnés. Lassitude et fatalisme inondent ces personnages abîmés ou exploités. Tous semblent condamnés et le lecteur se prend sans peine d’affection pour chacun d’entre eux.


Multipliant les points de vue et les endroits, l’auteur réussit le petit exploit de ne pas embrouiller l’esprit du lecteur, tout en ménageant ses effets et en lui réservant de sacrées surprises. Et s’il ne serait pas judicieux de révéler les ressorts les plus mémorables de l’intrigue, il semble opportun de préciser que des arcs scénaristiques ouverts lors du tout premier roman vont ici trouver leur conclusion, que des personnages aimés vont chuter, que d’autres personnages à peine aperçus dans les précédents livres vont se révéler d’une importance capitale et que le mot « sacrifice » trouvera encore quelques illustrations qui mériteraient de figurer sous sa définition dans le dictionnaire.


Plus que jamais, les dieux et ascendants vont jouer un rôle déterminant pour le monde, sans scrupules et presque toujours dans l’effroi. Et comme à chaque fois, Erikson va en profiter pour parler de l’humanité, dans ce qu’elle a de plus moche, beau et complexe. Et si la noirceur qui émane du livre peut paraître étouffante, au point que l’on se demande s’il existe du bon dans le monde décrit, c’est pour mieux être surpris par une scène hilarante de ci de là. Sur ce point, l’auteur n’a rien perdu de sa verve quand il s’agit de proposer des dialogues truculents et des réactions farfelues.


L’aisance avec laquelle il mène ses récits parallèles est toujours de mise ; pas une page n’ennuie et chaque personnage mérite les mots qui lui sont alloués.


Cependant, alors que l’écrivain nous avait habitués à des climax d’une ampleur inouïe, il a fait le choix dans ce tome de rester mesuré dans la démesure de l’action qu’il se plaît habituellement à décrire. C’est d’autant plus frustrant qu’il semble n’avoir jamais autant excellé dans son style, direct mais lyrique, limpide et poétique. Il suffit de lire les nombreuses pages où il s’efface pour laisser au personnage de Kruppe la place de narrateur pour se convaincre qu’il a progressé depuis Les Jardins de la Lune. Le final paraît bien sage pour du Erikson, même si les cent dernières pages constituent un gigantesque cliffangher préparant le terrain pour les deux derniers romans qui auront la lourde charge de clore un cycle d’ores et déjà mythique, éreintant et hallucinant.


Lorsque la dernière page se tourne, les pions sont placés pour le diptyque final, dans un monde fracassé où les certitudes d’hier ont disparu, où l’on ne cesse de compter les disparus.


Comme toujours, un grand bravo aux éditions Leha pour la qualité de cette première traduction, pour le faible nombre de coquilles relevées et pour le choix de Marc Simonetti qui a encore une fois livré une couverture splendide qui fait des jaloux.

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le 10 avr. 2022

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