Chronique vidéo https://www.youtube.com/watch?v=NP9gsiKhcYQ


La langue est malheureusement trop classique, trop simple, il n’y a pas trop de clichés littéraires, il faut déjà le préciser, mais bon sang, y a pas de style, j’ai l’impression d’avoir déjà lu cent livres écrit comme ça — je pense à La décision de Karine Tuil, je pense à tous les livres du Goncourt de l’an dernier que j’ai oubliés, ça manque de sel, de personnalité :

« Elle se prépare un thé, croque deux carrés de chocolat noir, glisse la plaque dans le tiroir, le rouvre, hésite, en prend deux autres. Depuis quelques années, elle ne se bat plus contre ces kilos qui l’enrobent ».

De deux choses l’une, je pense que décrire le réel tel qu’il se présente, c’est pas simple, ça peut en avoir l’air, mais ça ne l’est pas — cette scène en un sens, est réaliste, beaucoup de femmes, d’hommes vivent la gourmandise au quotidien. Mais la nuance, c’est que j’ai l’impression qu’elle reste sur l’idée de base, cette expérience commune, qu’on peut tous vivre un jour, il n’empêche qu’on la vit tous différemment — et la littérature devient intéressante dans la précision, dans la distinction — le chocolat, c’est quelle marque, il a quel goût, comment il va se mélanger à son haleine, d’ailleurs quelle est son haleine, il va fondre entièrement, ou est-ce qu’elle va croquer le dernier bout sur la langue, le tiroir, il vient d’une table en agglo, en chêne, il est vide, plein, y a quoi un paquet de mouchoir, des dossiers, des miettes peut-être, et elle surtout, est-ce qu’on peut pas la sortir du vague, du Madame tout le monde (une madame tout le monde qui finalement ne ressemble à personne. Enfin pas tout le monde, j’ai trouvé une vague ressemblance entre Pascale Robert-Diard et Nathalie de Saint-Cricq, donc je ne pouvais m’empêcher de penser à celle-ci en lisant, cela ne m’a pas rendu l’héroïne très attachante étrangement^^). Bref, elle est journaliste, on le sent dans l’utilitarisme de la langue, c’était ce que je reprochais l’an dernier à Lilia Hassaine.

J’avais lu une interview de l’autrice dans laquelle elle disait, qu’en tant que chroniqueuse judiciaire, elle avait entendu des juges dire qu’on ne pouvait pas croire sur parole, que c’était contre l’idée de justice — bref, c’était l’idée de base du roman. Idée passionnante, pour voir les limites du « je te crois », mais aussi pour voir les limites du « je doute, j’enquête ». Pour un tel sujet, il fallait des personnages nuancés, complexes. Et ce n’est pas le cas. Ils ne sortent pas de l’archétype — la jeune fille à problème (c’est plus ou moins dit comme ça — on verra par ailleurs plus loin que l’autrice a visiblement un problème avec les personnes venant des milieux populaires), l’avocate déchirée entre vie personnelle et vie professionnelle, l’ancien Dupond-Moretti, le pauvre maçon/zingueur/réparateur accusé. On dirait un feuilleton France 3. Mal joué en plus. Parce que les dialogues, s’ils se tiennent quand ils sont courts, perdent tout réalisme dès qu’ils s’étirent. Je pense à une scène au début ou Alice dîne avec Dupond-Moretti (on va l’appeler comme ça hein) — ils se mettent à parler du bon vieux temps, et plus précisément d’une vieille affaire comme si aucun des deux ne la connaissaient, et on sent à ce moment-là, notre place de lecteur, c’est très désagréable. Ce qu’il aurait été plus logique de faire, c’est deux trois phrases entre eux « tu te rappelles Machine » « Ah, celle avec le ? » « Oui, le gilet tricoté, à chaque audience, toujours le même gilet » Chacun regarde sa tasse, chacun est retourné dans le passé— Puis on amène le souvenir avec la narration classique — c’est déjà fait, déjà vu, mais au moins, c’est pas maladroit. Sinon, il faut accepter les trous dans une histoire, que le lecteur ne sache pas tout — c’est d’ailleurs ce qui peut rendre un livre mémorable, on ruminera plus sur une histoire qui conserve du mystère.

Et donc le problème aussi, c’est le traitement du personnage de Marco Lange — il coche toutes les cases du pauvre ouvrier tel que le concevrait un bourgeois, une sorte de bête de somme, une masse laborieuse (d’ailleurs, je crois qu’elle parle d’un visage laborieux si je ne m’abuse), mué par des désirs primaires — sa libido et l’expression de sa libido.


Et pourquoi je pardonnerai plus à un personnage de Houellebecq ce genre de considérations ? Mais parce que c’est dit avec cynisme, que c’est joué à fond, on va dans la dégueulasserie, ce qui fait que paradoxalement, on ne sait pas ce qu’il pense réellement, lui. Alors que là, elle le dit comme si c’était communément admis, ce qui fait qu’on le sent, qu’elle ne voit pas le mal, que même, et j’en suis convaincue, que ce n’est pas fait exprès, comme un racisme ordinaire ou bienveillant — on parle de l’accusé (« un visage laborieux, sans époque apparente »), ça sonne un peu comme ils se ressemblent tous en parlant d’une minorité. C’est déshumanisant. Et le personnage d’Alice est censé être attachant, alors qu’elle est quand même plutôt désagréable mais sans que ce soit à escient : elle veut pas faire dans le social, d’ailleurs, quand elle suppose que Lisa a peut-être été abusée par les garçons du collège, elle balaie ça de la main — c’est pas son problème. Elle est assez désagréable quoi.

Et puis, à côté de ça, elle aura beau plaider pour la beauté de la justice, on sent que derrière y a quand même un relent critique du féminisme actuel : on pense au congé pris pour règles douloureuses qui ne passe pas aux yeux du personnage d’Alice (‘moi à mon époque, je rentrais le ventre enceinte’, dit-elle à peu près = serre les dents et tais-toi).

Mais je veux quand même encore préciser que le sujet, s’il avait bien été traité aurait pu donner une œuvre troublante, qui ne laisse pas le lecteur en sécurité dans son petit fauteuil — mais déjà le parti pris d’annoncer dans la 4ème et dans le titre que c’est un mensonge, c’est très mal exploité : car pendant presque la moitié, on ne nous le dit pas encore, c’est de la perte, c’est mou, prévisible — et je trouve que le choix de donner presque la parole qu’à l’avocate, presque jamais à Marco Lange, c’est assez révélateur — on le fait parler que pour dire qu’il a redoublé son CP, ou pour le faire insulter la jeune femme qui l’a accusé à tort, comme si le seul personnage intéressant devait forcément avoir bac + 5, que lui en tout cas, ne peut concevoir une pensée complexe, une pensée qui sort de la brutalité ou de la bestialité — c’est le même écueil que pour La décision de Karine Tuil — avoir que le point de vue de la juge, de l’avocate, de l’ersatz de l’auteur, ça permet pas de sortir des zones de confort et d’atteindre la laideur, le sublime. On se penche un peu sur Lisa, mais pas pour entrer en elle réellement, j’ai pas l’impression d’avoir dépassé l’image des nanas qu’on jalouse au collège parce qu’elles ont plus de succès avec les mecs, elle n’existe pas. Lange n’existe pas non plus. Seule Alice, l’avocate, et pour un livre sur une fausse accusation de viol, je sais pas, ça aurait été sympa d’avoir le point de vue du principal intéressé.

Deux choses intéressantes toutefois : le jargon de certains professionnels, retranscrit de manière assez savoureuse — on sent qu’elle s’en amuse, et je pense que pour son prochain, justement, elle devrait voguer sur ces mers — celles de la précision, du croquis détaillé et pourquoi pas sociologique des personnes qu’elle est amenée à rencontrer (pas juste les lieux communs qui ont abreuvés bien trop de pages, mais leur manière de parler de se mouvoir, de s’habiller, de réagir), mettre justement son expérience au service de ses descriptions. Et aussi, comment les professeurs, toutes ses personnes bien intentionnées ont pu mettre justement à cause de leur bonnes intentions un homme en prison — c’est assez subtil, assez nuancé, c’est dommage que ces passages, où finalement elle se mouille un peu plus n’apparaissent que vers la fin et ne concerne que quelques pages. Le réquisitoire aussi, n’est pas trop mal, et je pense d’ailleurs que le livre aurait dû débuter dessus, pour déplier, dérouler beaucoup plus soigneusement l’histoire.

Enfin, tout ça pour dire que j’ai eu l’impression de lire un livre au sujet ambitieux, mais qui ressemble à un téléfilm du dimanche soir, joué avec Stephane Bern ou non, telle est la question…


YasminaBehagle
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le 9 sept. 2022

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