Une bien troublante démonstration de la difficulté de parole des victimes

Lorsque Lisa, quinze ans, accuse de viol Marco Lange, le plâtrier venu faire des travaux dans la maison familiale, l’avocat de l’adolescente traumatisée n’a aucun mal à obtenir la condamnation à dix ans de prison de cet homme au casier judiciaire déjà chargé. Mais, incarcéré depuis trois ans, le condamné entame un procès en appel. Désormais majeure et préférant être défendue par une femme, Lisa demande à Alice, avocate expérimentée qui ne voit aucune raison de refuser cette affaire facile, de reprendre le dossier. Sauf que Lisa revient sur ses déclarations, reconnaissant avoir menti…


Dans toutes ces affaires déclenchées par le mouvement #MeToo et par la libération de la parole des femmes, lorsque la preuve est si compliquée ou même impossible après parfois tant d’années écoulées, qui ne s’est jamais senti frémir à l’idée d’une mauvaise décision, qui entraînerait, soit l’insupportable impunité de coupables hors d'atteinte, soit la terrible dévastation de l’erreur judiciaire ? Observatrice aguerrie, par son métier de chroniqueuse judiciaire, des grandes comme des petites affaires qui font le quotidien des tribunaux, Pascale Robert-Diard nous confronte à une situation, qui, pour être fictive, n’en confond pas moins son lecteur par son parfait et terrifiant réalisme.


Quand la collégienne Lisa change de comportement et s’assombrit, inquiétant deux de ses professeurs, leur intervention pleine de bonnes intentions déclenche un engrenage dans lequel tout contribue bientôt à piéger l'adolescente. Pensant l’aider à exprimer ce qu’ils perçoivent inexprimable, ils finissent à leur insu par lui suggérer pas à pas ce qui lui semble une échappatoire plus supportable que l’aveu du véritable objet de sa souffrance. Bientôt, Lisa se retrouve dépassée par l'inextricable situation engendrée bien malgré elle par l'enchaînement de ses mensonges. « "Plus je mentais, plus je souffrais, plus je souffrais, plus on me croyait." Comment se sort-on, à quinze ans, d’un cycle aussi infernal ? »


Innocent dans cette histoire, Marco Lange devient alors, en quelque sorte, la victime par ricochet de crimes commis par d'autres, faute pour la victime initiale de réussir à dénoncer les vrais outrages qu'elle subissait. Pour rétablir la vérité dans l'incrédulité choquée générale, il faudra à cette dernière le courage de risquer le discrédit, au point, peut-être, de faire oublier que la première victime dans cette affaire, c'est elle. Quant à sa nouvelle avocate, c'est une mission bien peu ordinaire qui lui revient, quand le condamné est innocent, et l'innocente, menteuse.


Une bien troublante démonstration de la difficulté de parole des victimes, en dépit de toutes les bonnes intentions, que ce roman efficace et prenant.


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Cannetille
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le 24 oct. 2022

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