La Crue
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La Crue

livre de Michael McDowell (1983)

Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=3LNz1R2cPOI


Précisons que Michael Mcdowell est scénariste, raison pour laquelle Télérama et consorts vendent son livre comme un trésor d'efficacité. Sauf que… L'efficacité, c'est le contraire de la littérature. La littérature, c'est se perdre dans les sinuosités, dans les couches, les sous-couches, les anfractuosités que l'auteur aura bâties parfois même sans s'en rendre compte. C'est pas être en haleine comme devant une série, des pages calibrées où chaque péripétie sera calculée selon son degré d'addictivité.. Et d'autre part, ce livre n'est pas efficace, le nombre de répétitions (rien que le fait que Elinor soit enseignante, ait étudié à telle université, le mariage, tous les personnages bégaient et se répètent, comme si Mcdowell ne savait pas se servir d'ellipse) et la platitude des péripéties ont ralenti ma lecture. C'est mou du genou, les actions s'enchainent avec balourdise, ça s'enlise dans la boue de la Blackwater.


Puis quand on lit les critiques qui commencent souvent par saluer la beauté de la couverture, c'est pas un argument d'un bon livre ça, c'est un argument de vente, un argument marketing, encore une fois calculé pour toucher un public-cible.



L'immaturité des dialogues enlève aux personnages toute possibilité d'exister en dehors de l'histoire. En fait, chaque dialogue a une utilité scénaristique et n'exploite ni la caractérisation, ni la possibilité de dévier.



La relecture de l'American Gothique est plutôt pauvre, et c'est dommage, parce que j'aime bien ce qu'il a pu faire dans Beetlejuice ou dans l'étrange Noël de monsieur jack. Mais ici, malheureusement, il ne fait qu'en utiliser les motifs de manière caricaturale, sans accoucher de quelque chose d'original. C'est vraiment dommage, parce que le cadre avec ses créatures évanescentes, le surgissement du fantastique dans une communauté plutôt cloisonnée et religieuse, c'est prometteur. Mais il ne gère pas bien la tension, fait intervenir le surnaturel trop rapidement, de manière trop scénarisée, et donc prévisible. Et en plus, plutôt mal écrite. Je vous laisse juger


« Ses traits, qui avaient été séduisants, fins et délicats, étaient à présent épais, aplatis et grossiers. La bouche s'étirait démesurément au point que les lèvres avaient disparu. Sous leurs paupières closes, les yeux étaient pareils à de larges dômes circulaires […] Les paupières fines et étirées qui recouvraient les dômes protubérants s'écartèrent lentement et deux yeux immenses — de la taille d'oeufs de poule, pensa follement Annie Bell — se posèrent depuis le fond de l'eau sur ceux de la femme pasteur. [… ] Elinor émergea. La transformation physique qu'elle semblait avoir subie dans le courant parut se maintenir un instant, et Annie Bell se retrouva à fixer une vaste créature gris-vert informe dotée d'un corps mou et d'une tête énorme aux yeux froids et perçants. »


Y a quelque chose de puéril, je trouve, dans cette description, de grossier, qui en dit trop. Trop dans le sens où s'il était resté dans l'évocation, dans le regard de Madame Bell à ce moment-là, ou dans le hors-champs, ou qu'on ne sache pas si c'est elle qui débloque ou si c'est réel, quelque chose de plus subtil aussi, parce que là, c'est juste inimaginable qu'elles retournent vaquer à leurs occupations alors que l'autre est une sorte de créature aquatique, surtout dans un village très croyant, bref, si ça n'avait été que son teint par exemple, exsangue au moment de la baignade, ben je sais pas, ça aurait été moins ridicule. Pareil, quand le petit Sapp se fait dévorer par une bête étrange dans la rivière et que comme par hasard, Elinor a les joues bien rosées, bien fraiches juste après, c'est encore nous prendre pour des idiots. Cache tes effets, bon sang, sois subtil !



La narration très froide, très surplombante, comme une voix off omniprésente et un peu monotone, je dois l'avouer, je n'arrivais pas à lire plus d'un ou deux chapitres à la fois. A aucun moment on va se pencher et suivre un personnage, ce qui fait que c'est impossible de s'attacher à eux, y a pas d'effet de loupe comme ferait Zola par exemple, c'est-à-dire on commence par une communauté et puis on zoome sur un personnage, quitte à dézoomer à certains moments, non, c'est tout le temps comme une sorte d'épilogue où on résume ce que fait untel ou unetelle, où le narrateur ne fait que raconter et rien mettre en scène.


Je suis en train de lire Anna Karénine, et je m'aperçois que Mcdowell prend des tics de cette écriture 19ème siècle, avec l'utilisation des italiques par exemple ou le fait de dire le nom et le prénom des personnages assez souvent, de les présenter sous leur aspect social. Sauf que n'est pas Tolstoï qui veut, ça a un côté caricatural, un côté je veux écrire une grande saga début de siècle et donc singer la manière de faire d'une époque. Les italiques sont surabondantes et la plupart du temps dispensables, le fait de dire Elinor Dammert, Mary-Love Caskey et cie à chaque page devient vite ridicule.


L'intrigue est prévisible, avec des rivalités féminines caricaturales et des personnages féminins tout aussi caricaturaux, mention spéciale à Mary-Love, la soi-disant matriarche. Y a aucune intention politique à ça, c'est juste que les hommes sont falots et se laissent faire comme des petits garçons, c'est même plutôt dénoncé dans le bouquin. On se demande encore pourquoi ils utilisent ce terme, si ce n'est par un opportuniste purple-washing. ( quand on utilise le féminisme comme argument marketing). Elle est acariâtre, médisante, le cliché de la belle-mère, et oh, comme par hasard, elle deviendra la belle-mère d'Elinor. Elinor, elle, est mal peinte, pas compréhensible pour un sou ; il en a fait au départ une sorte de Mary Sue mystérieuse, pour ensuite créer une rivalité peu crédible et boursouflée avec Mary-Love, dont on ne comprend pas vraiment les enjeux. (et à ceux qui me diront, ah oui, mais ce sera expliqué dans le tome 5, je m'en fous, je veux pas lire la suite, même avec un flingue sur la tempe, et c'est mal amené, dans tous les cas, à aucun moment ça sonne juste cette rivalité qui sort des eaux vaseuses de la Blackwater.) Les habitants de Perdido n'existent pas, y a personne à part la famille principale, famille d'ailleurs turpide et crétine à la fois, tributaire du qu'en dira-t-on, et même pas dans un sens bien amené, c'est juste pas crédible ces histoires de rumeurs, plus invraisemblables les unes que les autres : à quel moment des gens dans un village vont dire d'une femme que oh lala elle nage comme un poisson, c'est vraiment un poisson dans l'eau… qui en a quelque chose à faire en vrai ? C'est uniquement pour faire monter la sauce de manière artificielle.


Bref, tout cela me fait désespérer qu'on fasse de la bonne littérature populaire. le dernier exemple, que je vous recommande est the Handmade's tale, même côté intriguant, mais avec une volonté artistique et politique derrière. Si vous avez bien aimé l'ambiance d'Amérique du début de siècle, ségrégation qui va bien plus loin, car entre nous, dans ce premier tome de Blackwater, c'est gentillet, lisez Mr. Vertigo de Paul Auster. Mais vous laissez-pas leurrer par les avis dithyrambiques et la jolie couverture, c'est un livre très moyen.

YasminaBehagle
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le 30 juil. 2022

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YasminaBehagle

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