Il y a certains Chattam que j'aime bien, mais depuis quelques temps, j'ai l'impression qu'il persiste dans une veine pas folichonne dont tous les défauts m'ont sauté aux yeux dès les premiers paragraphes de cette Constance du prédateur.


Récemment, j'ai relu un de ses tous premiers (Le 5e règne), ce qui m'a amené à m'interroger sur ce qui n'allait plus. J'avais en mémoire les lectures compliquées de l'Appel du néant et du Coma des mortels qui contrastaient avec mes bons souvenirs des plus anciens (que j'ai lus à un âge carrément pas adapté à leur contenu). Bonne nouvelle, le 5e règne était conforme à ma première impression. Mais alors, qu'est-ce qui ne tourne plus rond depuis quelques temps ?


Eh bien je crois que j'ai trouvé la réponse : il se prend trop au sérieux. Terrible maladie qui, dans celui-ci, vire presque à la comédie. Je m'explique.


Les cent premières pages sont assez douloureuses. C'est écrit de manière très laborieuse, avec d'une part une narration qui s'arrête à chaque page pour déverser des litres de commentaires génériques sur la vie, la mort et le mal, et d'autre part des dialogues d'une platitude qu'on pourrait presque prendre pour une parodie de sitcom. Et tout ça dans un esprit de sérieux qui lasse au bout de deux chapitres et qui détruit toute la puissance émotionnelle que le livre pourrait (devrait) avoir.


Les introspection du personnage principal sonnent faux, rien n'est vrai, tout est soit survolé soit appuyé par des grandes sentences, le genre de leçon de vie qui sert d'argument marketing aux manuels de développement personnel. Le tout saupoudré de commentaires post-metoo lourdauds et amenés au forceps, ce qui finit de faire ressembler le tout à une série Netflix.


Conséquence des dialogues éclatés (symptôme suprême : le seul humour dont sont capables les personnages, c'est d'aligner les sarcasmes), c'est qu'à aucun moment le groupe n'existe. Imaginez n'importe quel amoncellement de personnages fonctionnels hollywoodiens, avec le gars qui fait des blagues, la femme forte et intrépide (mais qui au fond doute quand même), le chef pas sympa mais en fait quand même sympa... Vous les voyez ? Eh ben c'est eux.


Chattam est tellement embarqué dans ses grandes théories de psychologie de comptoir qu'il en oublie de décrire des choses simples, par exemple de montrer la fragilité de son personnage autrement que par des incises insupportables (non mais qui fait une action en la commentant intérieurement comme ça ? Je veux dire : à part dans les films où le scénariste n'a aucune idée de comment faire passer une émotion sans la verbaliser pour être sûr que TOUT LE MONDE COMPRENNE, OK C'EST CLAIR QU'ELLE NE VA PAS BIEN ??) ou des appels à des explications à portée métaphysique du genre « Ôooooooo, mais pourquoi suis-je comme ça ? se demanda Ludivine. Pourquoi suis-je tant fascinée par le mal, par cette fracture essentielle qui menace de transformer tout homme en bête terrible ? » Eh ben dit comme ça, on s'en fout. Prends une aspirine, ça va passer.


Après le premier tiers, l'histoire décolle un peu, mais ça reste une enquête policière assez classique. On ne peut pas s'empêcher de penser très souvent à Thomas Harris, et si le principe de base des meurtres est assez original, il est amené beaucoup trop rapidement pour qu'on ait le temps de prendre la mesure du problème. En fait, je trouve le rythme du livre très étrange. Il est plutôt long (enfin, il a la longueur standard des Chattam), mais tout s'y passe trop vite. Je pense qu'il s'attarde systématiquement sur les mauvais éléments, là où il aurait gagné à laisser flotter son intrigue. Parce que à vouloir faire dans l'urgence sans avoir le style qui suit, ça n'est pas haletant, c'est juste brouillon. Et c'est encore un aspect de l'écriture de série qui passe très mal ici : cette obsession pour que chaque scène ait sa fonction vide le récit de tout ce que pourrait être marquant. On ne voit plus qu'un ballet mécanique de robots calqués sur des archétypes lessivés.


Mention spéciale : à la toute fin, pour parler de gens bien qui ont vraiment le cœur sur la main, Chattam dit qu'ils sont une famille pleine « de valeurs fortes ». Si ça c'est pas le vocabulaire journalistique vide de sens le plus basique, je ne sais pas ce que c'est.


Bref j'aime bien Chattam, mais faut vraiment qu'il arrête de vouloir sonder l'infinie noirceur de l'âme abyssale des monstres contemporains qui bla bla bla bla


fizzmizer
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le 15 janv. 2023

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Antoine

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