Bien entendu, le talent précoce de Leila Mottley est incontestable même si, comme elle l'écrit elle-même dans ses remerciements, elle a bénéficié de "toutes ces années d'atelier d'écriture." Avec cette formation, comme pour beaucoup d'auteurs américains, on peut d'ailleurs lui reprocher de donner un caractère programmatique à Arpenter la nuit et avec un aspect à l'évidence trop démonstratif et particulièrement prégnant dans le dernier tiers du livre. C'est un roman noir, un mélodrame qui ne lésine pas sur les malheurs de sa narratrice mais sans la complaisance malsaine de My absolute Darling, heureusement. Et puis, c'est aussi le portrait d'une ville américaine comme une autre où avoir la peau foncée pour une jeune fille expose à tous les dangers, surtout quand la protection familiale ne joue plus son rôle. L'autrice réussit assez bien à éviter les pièges du sordide, émaillant son récit de bouffées poétiques, dans un style par ailleurs direct et cru, mais sans exagération non plus. Sans doute est-ce anecdotique mais l'on regrettera, quand même, la surabondance de cette endémique expression "du coup", déjà horrible à l'oral, et qui intervient ici toutes les dix pages environ, sans rime ni raison (facilité de la traduction ?). Passons. Envisagé comme un coup de poing pour dénoncer la vulnérabilité et la fréquente précarité de ses consœurs afro-américains dans un environnement hostile, de même que leur aptitude à la résilience, Arpenter la nuit frappe par la capacité que possède Leila Mottley pour créer des personnages psychologiquement très fouillés et une narration qui, globalement, tient la route quoique un peu fléchée. Lui reste peut-être à acquérir un peu plus de sens des nuances dans ses prochaines fictions, tout en leur conservant la rage de sa jeunesse. Il y a bon espoir qu'elle y parvienne, eu égard à son potentiel.

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le 6 déc. 2022

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