Riot-Sarcey construit, patiemment, son ouvrage en confrontant un constat et une méthode. Le constat : l’histoire en générale, et tout particulièrement l’histoire française du XIXe, a la fâcheuse tendance à être écrite par les vainqueurs dont le but avoué ou inconscient est d’enterrer dans l’oubli les pratiques des vaincus. Et la méthode proposée ici pour y remédier est celle de l’histoire discontinue chère à Walter Benjamin : ne pas oeuvrer chronologiquement en bon élève appliqué mais parvenir à retrouver un passé oblitéré comme on pourchasse une rivière souterraine dont le lit est fait d’éclipses et de réapparitions soudaines. Tâche compliquée, tant les sources sont fragiles et les habitudes tenaces, mais tâche éminemment éthique pour qui veut essayer de relier sans le trahir le passé au présent pour oeuvrer un tant soit peu à ne pas éternellement répéter les mêmes erreurs concernant la construction de l’avenir.


L’autrice se focalise donc ici sur la révolution de 1848, période particulièrement malmenée dans la mémoire hexagonale. Une révolution récupérée au lendemain des journées de février par des républicains dépassés par l’évènement, révolution honnie par les réactionnaires et les classes bourgeoises de tout poils, révolution trahie et massacrée dès le moi de juin de la même année, et révolution effacée avec application à partir de là par toutes les instances de pouvoir (gouvernement, journalistes, universitaires, historiens…).


Pas à pas, Riot-Sarcey s’attache à retrouver le vrai sens d’un bouleversement avorté, en auscultant non pas tant les textes que les actions des ouvriers et prolétaires de la période pour qui le mot de Liberté n’avait pas le sens que l’élite avait décidé de lui donner, dès le lendemain de la Révolution de 1789. Une liberté qui, se comprenant alors comme « pouvoir d’agir » au sein d'une collectivité, aurait pu déboucher sur une république démocratique et sociale, mais qui par glissement progressif allait devenir un cache misère pour tous les tenants du libéralisme économique. Sous nos yeux l’historienne agit en archéologue de la pensée, et mène une enquête fascinante et effrayante pour mettre à jour les rouages d’un procès à charge gagné d’avance, victoire à la Pyrrhus qui explique en grande partie pourquoi notre démocratie est aujourd’hui dans une impasse tragique.

Chaiev
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le 13 mai 2017

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