Work in Progress : 1/ un autre Monde est possible.

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Alors oui sans doute le recueil est clairement fait dans une visée de réhabilitation (d’un autre côté, Robespierre en a bien besoin, à voir les idées fausses ou caricaturales dont son nom reste entaché), et oui sans doute un corpus de discours ne suffit pas à juger de l’action politique d’un homme. Reste un fait certain : la puissance littéraire et rhétorique de Maximilien est extraordinaire, et si tous les textes réunis ici sont la preuve d’une faculté d’analyse hors du commun et d’une force de frappe qui laisse pantois, certains atteignent à des sommets rarement égalés dans l’art de la conviction et de la pensée juste. Car il est une chose de savoir tacler, persuader, séduire, et une autre de défendre aux milieu des pires tempêtes et des pires vilenies une ligne éthique et politique avec autant de rigueur et de fermeté. Derrière les phrases taillées d’une main d’orfèvre se dessine une volonté farouche, et qui sur le long terme ne peut passer pour une simple manoeuvre de sophiste : lutter contre le fanatisme, la mauvaise foi, l’opportunisme, la bêtise, et fonder une nouvelle société sur le socle de l’égalité et de la vertu. Si le problème quand aux moyens pratiques pour parvenir à cette utopie reste du domaine de l’histoire, sur un plan purement philosophique la voix de Robespierre est une source vive et puissante. Que depuis deux cents ans toutes les forces coalisées aient cherché à l’étouffer est à la fois criminel, scandaleux, et pathétiquement logique.

" Il y a plus : si vous ne faites tout pour la liberté, vous n’avez rien fait. Il n’y a pas deux manières d’être libre : il faut l’être entièrement, ou redevenir esclave. La moindre ressource laissée au despotisme rétablira bientôt sa puissance. Que dis-je ! déjà il vous environne de ses séductions et de son influence ; bientôt il vous accablerait de sa force. Ô vous qui, contents d’avoir attaché vos noms à un grand changement, ne vous inquiétez pas s’il suffit pour assurer le bonheur des hommes ! ne vous y trompez pas, le bruit des éloges que l’étonnement et la légèreté font retentir autour de vous s’évanouira bientôt ; la postérité, comparant la grandeur de vos devoirs et l’immensité de vos ressources avec les vices essentiels de votre ouvrage, dira de vous avec indignation : « Ils pouvaient rendre les hommes heureux et libres, mais ils ne l’ont pas voulu ; ils n’en étaient pas dignes. » "

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Castoriadis précise dans sa préface qu’il se méfie des philosophes trop pressés d’effacer les échafaudages qui ont permis l’élévation de leurs argumentaires, et revendique le coté composite et non achevé de son livre, soulignant au passage qu’une théorie qui se croirait cohérente parce que close oublie l’importance de la participation de l’autre dans toute élaboration aussi bien intellectuelle que pratique. Dans ces quelques présupposés repose déjà la force époustouflante de la pensée de l’auteur, dont l’œuvre phare - un peu laissée de coté désormais - est une parfaite illustration. Par l’histoire mouvementée de son élaboration en premier lieu, puisqu’elle est composée d’une première partie publiée d’abord en 1964 dans les derniers numéros de la revue Socialisme ou Barbarie, prolongée dix ans après par une deuxième partie qui la complète, la reprend, l’approfondit. Ces deux blocs sont séparés par mai 68 d’une part (qui viendra confirmer tout ce que la revue analysait dans l’indifférence générale depuis 1949 quant à l’impasse que représentait le communisme stalinien) et par la nouvelle direction que prend la pensée de Castoriadis qui s’intéresse de près à la psychanalyse dans les années 70. Et pourtant, ce qui frappe à la lecture du livre, c’est la virtuosité avec laquelle le philosophe parvient à garder le cap de sa démonstration : le fait historico-social ne peut être compris sous le seul prisme de la Raison tel que Platon, Aristote puis toute la pensée occidentale jusqu’à Hegel et Heiddeger l’ont édifié. Il y a tout un pan occulté, et pourtant agissant, qui repose sur l’imaginaire (concept beaucoup plus large que celui communément admis) à la racine de toute institution. Le champ de bataille arpenté par Castoriadis, avec quelle vigueur, avec quelle intelligence, est énorme : politique (en ayant le courage de vouloir fonder une pensée socialiste hors du carcan marxiste), sociologique, historique, psychanalytique, biologique même : toutes les strates sont convoquées, mises à nue, fouaillées pour en extraire une autre image, un nouveau fondement dans un but déclaré avec force : retrouver le chemin - forcément révolutionnaire - qui permettra d’instaurer l’autonomie de chacun : lutte jamais terminée pour en finir avec l’hétéronomie qui grève toutes les sociétés capitalistes occidentales. Cinquante ans plus tard, il est un peu préoccupant de voir à quel point une réflexion aussi exigeante et salvatrice n’est plus du tout au gout du jour.

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« Par “crise de la sensibilité”, j’entends un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l’égard du vivant. Une réduction de la gamme d’affects, de percepts, de concepts et de pratiques nous reliant à lui. Nous avons une multitude de mots, de types de relations, de types d’affects pour qualifier les relations entre humains, entre collectifs, entre institutions, avec les objets techniques ou avec les œuvres d’art, mais bien moins pour nos relations au vivant. Cet appauvrissement de l’empan de sensibilité envers le vivant, c’est-à-dire des formes d’attention et des qualités de disponibilité à son égard, est conjointement un effet et une part des causes de la crise écologique qui est la nôtre.»

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Essentiel et brillant, l’ouvrage de Jappe est un diptyque qui cherche à articuler une théorie et une pratique, en dégageant leurs lignes de forces trop souvent occultées par une doxa qu’on répète sans plus la mettre en question. Il commence par une présentation de la « wertkritik » (critique de valeur) initiée par la revue Krisis dans les années 90 : une relecture de Marx pour le dégager de tous les ajouts marxistes qui ont peu à peu dénaturé le dynamisme interne de sa pensée, autour des concepts de marchandise et de fétichisme. C’est la partie la plus développée, et où l’auteur fait montre d’un talent didactique impressionnant, afin de rendre compréhensible le cheminement de la pensée de Marx, à partir de l’idée séminale que le capitalisme - tout entier fondé sur une société marchande - ne débouche pas sur une distorsion de la réalité mais bien sur son inversion totale. Une fois repérés les différents mécanismes à l’oeuvre dans cette complexe entreprise d’appropriation du réel (complexe car inconsciente et involontaire), Jappe essaye de voir, point à point (en s’appuyant sur l’histoire, l’anthropologie, la philosophie, la politique) comment se sortir d’un piège aussi mortifère. Si sa vision n’est pas des plus optimistes, elle est au moins radicale : il n’y a pas d’aménagement possible, la seule solution est - un peu à la manière du baron de Munchausen - de se tirer par les cheveux pour échapper une fois pour toute au marécage du profit à tout prix.

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Les critiques qui pleuvent sur le dernier opus de Piketty sont à l’aune de son ambition : tenter une approche à la fois historique, économique, sociologique, politique du problème de la gestion de l’inégalité dans le monde, entre le Moyen Age et aujourd’hui ! Mazette, pas étonnant qu’il faille au bonhomme plus de 1200 pages pour exposer sa vision du problème, et pas étonnant que les spécialistes de chacune des disciplines convoquées puisse lui reprocher tour à tour trop de raccourcis, trop de parti pris, trop d’idéalisme. Le livre est un voyage - à la fois donc spatial et temporel - impressionnant d’érudition mais son but est clairement annoncé tout du long : comprendre non seulement comment chaque société a justifié en son sein une certaine continuité d’inégalité, mais aussi proposer des solutions pour le mode de demain, s’appuyant sur les exemples du passé, aussi bien les échecs que les progrès. Il y a par conséquent plusieurs portes d’entrée à l’ouvrage, et il me parait un peu spécieux de tout rejeter en bloc sous prétexte que les pistes avancées ne semblent pas forcément convaincantes à tous. Le grand mérite de Piketty reste tout de même d’ouvrir un débat fructueux (et amplement documenté) sur des sujets primordiaux trop souvent caricaturés ou balayés de la main avant toute discussion : la justice fiscale, le droit à l’éducation, le problème des frontières, l’écologie, et la libre circulation des capitaux voulue par les tenants d’un neo-libéralisme qui mènera le monde à sa perte.

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