4.48 Psychose
8.1
4.48 Psychose

livre de Sarah Kane (2000)

Autant j'ai détesté Manque pour ce qui m'a semblé être un vide abscons camouflé sous une apparence de profondeur (vous me suivez ?), autant j'ai beaucoup aimé 4.48 Psychose. J'ai haï l'espèce de dialogue creux, décalé, incompréhensible et soi-disant existentiel et fondamental de Manque, ce genre de chose abstraite, conceptuelle, moderne, où à force de vouloir aller trop loin on ne va plus nulle part. (Oui, lynchez-moi, l'art contemporain tel qu'on l'observe par exemple à la Tate Modern à Londres m'apparaît comme une vaste mascarade, je pourrais parler pendant des lustres de cette pédanterie sans fond qu'au fond je connais et comprends souvent, en bonne littéraire que je suis.) Pourtant, et la parenthèse s'arrête ici, la différence essentielle est que 4.48 Psychose m'a touchée. Réellement.

Bien sûr, cela a déjà été dit, cet OTNI (objet théâtral non-identifié) s'apparente parfois à un sombre poème d'adolescent mal dans sa peau, tout ce qu'il y a de plus commun finalement. Cela serait sans intérêt si ça s'arrêtait là. Mais comme vous vous en doutez, ça va plus loin. Véritable dissection de la dépression, de la colère, des motivations du suicide, cette oeuvre recèle et révèle une complexité incroyable - car tout se mélange, s'embrouille, se contredit, véritable cauchemar à plusieurs voix (j'ai admiré la diversité des procédés employés par l'auteur) dans lequel on démêle avant tout, et c'est peut-être le plus terrible, la lucidité sans faille de la narratrice. Un petit exemple des paradoxes qui peuplent la pièce ?
"Je me suis trouvée si déprimée par le fait d'être mortelle que j'ai décidé de me suicider."
Et c'est aussi drôle, un tel paradoxe. On rit jaune, ou noir, en découvrant cette pièce (qui à mon humble avis ressemble plus à un poème à la Mallarmé (en plus cru et plus désabusé - je pense au Coup de dés) qu'à une pièce de théâtre, même si ça doit être très intéressant sur scène), on a parfois des sursauts d'espoir aussi, mais finalement l'issue est fatale, ça ne fait aucun doute.

Je note pour finir le travail sur la langue, qui n'échappe pas parfois au côté abstrus (oui j'aime les synonymes), mais se défend bien, sur la forme, et puis la critique virulente de l'hypocrisie de la société, vue sous un nouvel angle - celui de la "malade", de l'indésirable, de l'incomprise, de l'anormale, de la faible, honteuse et colérique anorexique. Donner la parole de cette façon à un pan peu connu de la population est intéressant, et touchant. Bref, malgré une petite réserve, ça m'a plu, et la psychose est bien là, comme maladie peut-être pour l'héroïne - comme angoisse pour le lecteur.

Au fond, les pièces de Sarah Kane, je crois qu'on aime ou qu'on déteste.
Eggdoll

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