Spiritfarer
7.2
Spiritfarer

Jeu de Thunder Lotus Games (2020PC)

Critique publiée à l'origine sur Etoile-et-Champignon.fr


On a toujours envie d’aimer les jeux indé comme Spiritfarer, qui tentent des agencements hors des sentiers battus, surtout lorsqu’ils sont de facture aussi soignée que celui-ci. Hélas, ses jolis sprites expertement animés « comme dans un Disney » n’y sont qu’une belle façade : une fois rentré de plein pied dans sa progression, l’ensemble s’est rapidement défait par un manque de sens général, et par un écart total entre la narration et la « matière à jouer », excessivement laborieuse.


A l’entame, notre personnage nommée Stella découvre un outre-monde au seuil de la mort, représenté comme une mer ponctuée d’îles et où les âmes défuntes prennent, étrangement, la forme d’animaux anthropomorphiques. En tant que Passeuse du Seuil, on explorera les îles alentours à la recherche d’âmes en peine qui, toutes, partagent une même accroche à leur passé de vivant, quoique pour des raisons différente : à nous de les aider à accepter leur sort et à lâcher prise sur la vie, en accédant à leurs dernières demandes (des missions de collecte ou de construction).


Avec cette idée narrative, le jeu tenait un sujet potentiellement poignant. Hélas, l’émotion ne prend que rarement, lors des meilleurs « passages de seuil », soit cinq minutes toutes les 5 à 10 heures de jeu ; et le deuil qui aurait pu être la zone sentimentale visée par l’ensemble de l’aventure n’est ici que le point d’orgue d’une progression à rallonge et en tiroir, qui s’appuie sur des boucles de gameplay hors-sujet d’inspiration multiple, mi-plateforme pour les déplacements, mi-gestion pour le reste : gestion de notre bateau, améliorable en ajoutant des salles aux fonctions diverses (des cabines pour nos passagers, une cuisine, des champs, des ateliers …) ; et gestion des ressources récoltés puis retravaillées, cuisinées, forgées, moulues, fermentées, à des fins de nouvelles constructions et d’accomplissement de quêtes, dans un infini bouclage de boucle : le jeu s’étire plus que de raison sur au moins 25 heures d’une agitation dans tous les sens, à tenter de ne pas perdre le fil...


Notre premier problème avec Spiritfarer tient d’abord à ces tâches de collecte, qui n’ont provoqué chez nous qu’un ennui intense, à peine récompensé par la satisfaction toute relative de voir se construire le bateau. Ici comme dans d’autres jeux du genre, les actions de planter, récolter et même se déplacer ne sont jamais plaisantes en elle-même, mais seulement l’habillage d’une mécanique d’amassement (de bois, de fruits, de minerais, de poissons…), soit de simples moyens pour une fin. Pire, la plupart des activités de collecte sont une corvée pure et simple, avec leurs phases de plateforme improvisés dans un bateau que l’on aura construit sur un principe d’accès facile aux pièces utiles plutôt que pour y faire des cabrioles.


Le level-design des îles témoigne en outre d’un manque de goût pour les parcours d’adresse, et d’une méconnaissance pour ce qui peut les rendre intéressants à pratiquer : les lignes des niveaux sont génériques et convenues, sans rien pour les distinguer (il y a des échelles partout). Quand au choix de ne pas estomper les façades des bâtiments que l’on visite, obligeant à les explorer « à l’aveugle », il est un bizarrerie de plus d’un versant plateformesque tout simplement avare en bonnes sensations de jeu.


Ajoutons au rang des défaillances notables qu’une poignée de systèmes semblent tourner à vide, comme celui du moral des personnages qui, même au plus bas, n’a jamais eu d’impact sur le cours des évènements dans notre partie (à moins que l’on ait raté quelque chose). Le câlin que l’on peut offrir à nos invités pour améliorer leur humeur en devient un gimmick complètement vain, de même que l’obligation de les nourrir une fois par jour, que l’on a fini par ignorer totalement.


Ce manque de consistance se double d’une pléthore de petites expériences désagréables, qui s’empilent jusqu’à constituer une grande exaspération. On s’agace par exemple du déroulement « en temps réel », certes essentiel à plusieurs systèmes (de déplacement en bateau, des pousses des végétaux, des préparations culinaires…), mais dont les journées trop vite passés nous laissent à peine le temps de jouer avant qu’il faille retourner dormir. On s’énerve également à force de revoir pour la centième fois des animations qui se retournent contre le jeu par leur longueur excessive, alourdissant la moindre de nos actions. Et le système de voyage rapide en otarie finit d’achever notre patience avec sa carte sans info qui nous a tant de fois obligé à repasser par celle, plus complète, de notre cabine pour trouver le bon point de chute, tout en subissant l’atroce musique annonçant le mammifère marin (l’effet semble intentionnel, mais alors, quelle idée…) ; et à chaque fois, que de temps perdu…


Quant au volet narratif, il laisse perplexe. On ne voit aucune pertinence à ce monde maritime mignon-tout-plein pour illustrer le passage de vie à trépas, tout comme on peine à saisir le pourquoi d’un bestiaire pour représenter des personnages qui ont été humains de leur vivant. Qu’en tirer, sinon des stéréotypes abscons ? Qu’une brute égale un bœuf ? Qu’une mamie-gâteau, c’est comme un hérisson? Nous voilà bien avancé… Si cette double imagerie (maritime, animalière) sonne si creux et porte si peu à conséquence, c’est peut-être qu’elle vaut surtout comme moyen pour le studio de montrer son talent de dessin et d’animation « classiques » au détriment du sens, dans un jeu pensé comme une sorte de book de luxe. Pour nous ses joueurs, déconfits par cette désarticulation totale du récit, de l’image et du jeu, reste au moins l’émotion ressentie au départ des meilleurs personnage (Gwen, Alice), où l’écriture touche fugacement le point névralgique du deuil, mélange douloureux d’amour, d’abandon et de regret, le tout joliment soutenu par une musique à son meilleur. Dommage que ces pics d’intensité soient anesthésiés par le grand bain ludique mollasson dans lequel elles surnagent, et qui font perdre à Spiritfarer presque toute sa portée, sans lui ajouter (selon nous) une once d’intérêt ludique.


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Benetoile
5
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Créée

le 10 nov. 2020

Critique lue 1.4K fois

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