Une romance aux multiples facettes placée sous le signe de l’immersion:
– Dans un New York singulier par sa proximité;
– Au cœur d’un microcosme culturel, le milieu italo-américain: violent, mais pas encore vraiment mafieux comme dans le reste de la filmo;
– Dans la tragédie de l’intime auquel devra faire face un couple trop dépareillé.


Il y a quelque chose de véritablement touchant dans ce tout premier film de Scorsese, au delà de ses parti-pris formels.
Une émotion, des sentiments qui circulent à travers cette romance, et qu’on n’observera que très rarement chez le réalisateur… Mais également une vision inédite de la culture italo-américaine, disséquée du point de vue de la considération de la femme.
L’idée est placée des la première scène puis répétée au cours du film: ce que l’homme cherche chez une femme, c’est une maman. Toutes les autres, seront des « broad », expression particulièrement dévalorisante, signifiant « large » au sens littéral, « pute » dans le langage local. Scorsese observe avec finesse ce déterminisme relationnel finalement assez tragique dans lequel sont coincés les deux personnages centraux, malgré leur puissant amour.


Dans la forme, la mise en scène si typique de son cinéma n’en n’est qu’à son balbutiement. Pas encore de stylisation de la caméra (plans séquences ultra-dynamiques, mouvements latéraux signatures…) mais déjà une utilisation de la musique illustrant avec précision l’action; L’immersion typique de son cinéma est déjà présente, quoique presque intégralement confiné dans les décors intérieurs et s’exprimant dans le dialogue. Le noir et blanc, la liberté totale du rythme, et l’imprévisibilité du script renvoient quant à eux, à la nouvelle vague – tout du moins c’est la seule référence que je peux affirmer, avec mon simple bagage culturel.
Cette liberté artistique est d’ailleurs partie prenante de la stimulation provoquée par le film; les enjeux sont placés assez tard dans le film (la révélation de « la fille ») mais redéfinissent totalement les rapports qu’entretiennent les personnages entre-eux. Ainsi, l’autre (homme ou femme) semble n’avoir d’autre fonction que de palier à un déficit affectif profond.
Les femmes n’ayant d’autre utilité que sexuelle (hormis « la bonne »), ne reste que la camaraderie pour combler ce manque affectif. Scorsese illustre cela avec subtilité, via quelques scènes assez marquantes et/ou stylisées:
– Une soirée entre mecs ou la finalité sera de prouver sa virilité, sa propension à l’humiliation – génialement mis en scène par travellings ralentis successifs, et sans autre son que de la musique extradiégétique.
– Un défilement (fantasmé ?) de « broads », de corps, filmés avec une caméra retranscrivant assez bien les idées de vertige et d’abandon dans le sexe désintéressé.
– Une excursion hors-New York, ou la possibilité d’évasion vis à vis des valeurs est suggérée (laisser libre cours à la poésie, à l’ouverture culturelle ?)
– Une seconde soirée thématiquement identique à la première, mais ou la « femme-broad » sera le centre des enjeux.


Parallèlement à cette triste(?) représentation, la relation entre J.R. (Harvey Keitel) et « la fille »(Zina Bethune) se construit sous forme de flashbaks indissociables de fantasmes, et ponctuant le « présent » par le contrepoint. Construite avec délicatesse et pudeur, ces moments captent les diverses étapes de la séduction, puis la tentative de vie commune.
Durant la première phase, Scorsese fait son personnage masculin s’exprimer par le biais de la culture, cinématographique notamment. John Wayne et le western Ford-ien sont l’expression idéale de ses valeurs, celles de l’homme dur mais juste, dont le charisme est façonné par ses convictions vis à vis du monde.
Elle, apparaissant d’abord plus effacée que lui, possède un passif insoupçonnable qui composera rétroactivement sa relation à l’Homme, à lui.
La progression de leurs sentiments réciproques est parfaitement retranscrite, faisant naître une véritable empathie envers ce couple. Une empathie qui permettra indéniablement de voir plus loin que leur simple histoire lorsque le drame de l’intime fera petit à petit son entrée.


En définitive, l’idée que l’on pourrait se faire du réalisateur à partir des thèmes émaillant sa filmo (mafias, immersions presque documentaires, ambition, violence ou instabilité) et de la vision de la femme à l’intérieur de ses films sont complètement bouleversés par ce profond WHO’S THAT KNOCKING AT MY DOOR et sa sensibilité, insoupçonnable chez Scorsese à l’exception du magnifique Alice n’habite plus ici sur lequel je reviendrai bientôt.
Je n’ai toutefois pas encore vu Boxcar Bertha (film suivant), Raging Bull, Le Temps de L’innocence et La couleur de l’Argent.


WHO’S THAT KNOCKING AT MY DOOR a été chroniqué dans le cadre de la rétrospective consacrée à MARTIN SCORSESE dans le cadre du festival lumière 2015
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le 4 déc. 2012

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