Mon titre se lit bien Hagen le rebelle et non Hagen la rebelle. Aucun rapport avec la chanteuse Nina Hagen (sauf peut-être dans la référence, discrète). Hagen, c’est le chien de la petite Lili, 13 ans.


Le titre White god ne peut que faire penser à White dog (Dressé pour tuer en version française), film de Samuel Fuller. D’autre part, la bande-annonce va dans le sens des commentaires accrocheurs, disant que le film est dans la lignée du célèbre Les oiseaux d’Hitchcock.


Alors oui, la comparaison est inévitable. Attention quand même aux fausses impressions car, dans le film d’Hitchcock, les oiseaux ont un comportement que rien ne vient jamais expliquer clairement. Ici, les chiens deviennent agressifs pour la simple et bonne raison qu’ils ont été maltraités.


Bien qu’intéressant, le film laisse perplexe, car il fausse régulièrement les pistes : drame social, fable politique, film d’amitié et d’angoisse. Un peu de tout cela, finalement. Mélange habile mais pas exempt de maladresse.


Ainsi, la rébellion des chiens ne vient que tardivement dans le film. On se demande trop longtemps où veut en venir le réalisateur, le hongrois Kornel Mundruczo qui s’intéresse longuement à la petite Lili (excellente Zsofia Psotta) qu’on voit au début laissée à son père, par la mère qui part pour trois mois aux antipodes. Problème, si les parents sont séparés d’un commun accord, Lili, elle, ne veut pas se séparer de son chien. Or, le père est devenu un solitaire bourru très occupé par son travail (il délivre les certificats pour la viande consommable, à l’abattoir de la ville) et qui habite dans un endroit où les animaux ne sont pas acceptés. Héberger sa fille soit, s’occuper du chien très peu pour lui. Il va donc assumer tant bien que mal son rôle de père, tout en gardant un sens pratique dû à l’expérience (c’est un quinquagénaire au crâne dégarni).


Résultat, après quelques péripéties, le père place Lili devant un véritable dilemme, envoyer Hagen à la fourrière ou l’abandonner en ville. Pensant qu’à la fourrière il serait rapidement abattu, Lili préfère l’abandon. Elle porte donc sa part de responsabilité, même si elle ne pense ensuite qu’au moyen de retrouver Hagen, passant outre aux recommandations de son père.


Hagen devient un chien errant qui intègre une bande trainant en ville dans les terrains vagues. Il tape dans l’œil d’une petite chienne, probablement bâtarde comme lui, qui se révèle très maligne. Elle le sauve plusieurs fois de situations très critiques. Cela n’empêchera pas Hagen de tomber dans les pattes d’un homme sans scrupules qui réussit à le vendre à un autre, tout aussi intéressé. La référence au film de Fuller saute alors aux yeux, car l’homme dresse ce chien qu’il appelle Max (Mad Max ?). Mais le film de Fuller montrait bien qu’un White dog est dressé pour s’attaquer aux hommes blancs (d’où le titre de la version française). Ici le nouveau maître du chien est blanc, mais il ne le maîtrisera jamais comme s’il était son dieu. Ou alors, il faut voir la blancheur comme symbole de l’innocence, auquel cas le dieu en question ne se révèle qu’à la fin du film.


Le début du film correspond à ce que montre la bande-annonce. On se croirait dans une situation post-apocalyptique. Ambiance captivante et intrigante à souhait. Malheureusement, il ne s’agit que d’une astuce scénaristique, le réalisateur se permettant quelques flashbacks et flashforwards pour installer une certaine ambiance et délivrer quelques informations tout en créant une réelle tension. Dans son introduction, il multiplie les points de vue (utilisation de 3 caméras) de façon assez gratuite.


Nous sommes en Hongrie, à Budapest (jamais citée, mais identifiable), une ville où la grisaille côtoie la modernité (voir les terrasses de café et la circulation sur les voies rapides). Le film se concentre sur ce que vivent Lili et Hagen. Lili n’a qu’un ami, son chien. Et, pendant trois mois (sinon plus) elle doit faire contre mauvaise fortune bon cœur. Elle se déplace régulièrement en vélo, avec un petit sac à dos dont dépasse sa trompette. Elle participe aux répétitions d’un orchestre qui doit jouer la rhapsodie hongroise n°2 de Franz Liszt. Le choix de cette œuvre ne doit rien au hasard, puisque Liszt est hongrois. De plus, il permet à Mundruczo quelques scènes et références explicites, puisque cette rhapsodie est celle que Tom exécute au piano dans The cat concerto le plus hilarant de la série Tom et Jerry (voir la critique de zombiraptor http://www.senscritique.com/film/Tom_et_Jerry_au_piano/critique/19124277), que les chiens enfermés à la fourrière observent sur un écran de télé. Cette œuvre entrainante apporte quelques touches d’humour au film, avec ses moments calmes et même répétitifs, suivis de déchainements syncopés. Issue du folklore traditionnel, elle renforce l’aspect hongrois du film (coproduction hongro-germano-suédoise) et souligne l’alternance des moments de tension et ceux plus calmes, qui précèdent la tempête, au moment où les chiens vont se rebeller, formant une masse absolument incontrôlable. On remarquera au passage que cette masse incontrôlable est attaquée sans réel discernement par les hommes, qui ne savent que répliquer à la violence par la violence. Il faudra une certaine forme d’innocence, par l’enfant que Lili est encore, pour traiter avec les chiens.


Kornel Mundruczo revendique un aspect métaphorique pour son film. A ses yeux, la Hongrie et son peuple sont dans une impasse dont ses dirigeants sont incapables de sortir. Premier symbole, le père de Lili, un intellectuel qui a renoncé et qui survit presque misérablement. Autre symbole, le chef d’orchestre qui dirige sans âme et ne fait que râler, car il n’aime pas ce qu’il fait. Le réalisateur suggère une sortie symbolique de cette impasse, avec une fin apaisante qui permet d’affirmer une nouvelle fois que la musique adoucit les mœurs. Remarque au passage, l’attitude au moment crucial de Hagen, qui rappelle à point nommé le logo du label « La voix de son maître ». Suit un plan magnifique montrant Lili occupant désormais une position analogue au chef d’orchestre, mais en communion avec le groupe qu’elle a en face d’elle. Le calme est obtenu par une personne qui conserve sinon l’innocence, du moins une certaine fraicheur et la volonté de ruer dans les brancards.


Titre alternatif pour cette critique Aujourd’hui les chiens en référence au beau récit de Clifford D. Simak.

Electron
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le 9 déc. 2014

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