Un Araki (un peu) décevant est toujours supérieur à un film réussi de beaucoup d'autres
Mysterious skin de Scott Heim est un roman puissant à la structure moderne. Mysterious skin de Gregg Araki est un film sublime et bouleversant, peut-être le plus beau des années 2000. White bird in a blizzard de Laura Kasischke est un roman délicat à l'écriture inégale, parfois imprécise et maniérée, dont la matière semblait idéale pour Araki.
Si White bird déçoit c'est parce qu'on en attendait beaucoup. Mais un film décevant d'Araki vaut toujours bien davantage qu'un film réussi de beaucoup d'autres. White bird est donc un joli film dont l'élégance racée habille avec délicatesse la profonde mélancolie.
Il faut un peu de temps pour entrer dans l'histoire. Si l'on reconnait d'entrée le style raffiné du cinéaste, on peine à se faire à une voix off narrative inutile et vieillotte. Heureusement, elle ne dure pas, et ce n'est finalement qu'à sa disparition qu'on commence à se laisser porter par la narration de va et vient directement inspirée du roman.
L'adaptation d'Araki est très fidèle à deux exceptions près. On imagine l'œil goguenard de l'auteur de Kaboom en transformant les amies de Kat [une grosse fille et une pom-pom girl sexy] en une grosse fille noire et un gay peroxydé. Ce jeu de passe-passe crée le pont entre le roman et l'univers du cinéaste, qui préfère toujours la marge à la norme et s'approprie ainsi cette histoire de femmes, mère et fille, la première enfermée dans la middle-class et la seconde en plein apprentissage.
C'est en toute fin qu'Araki tord l'histoire et apporte une interprétation toute personnelle, aussi forte que savoureuse, terrible mais drôle, au mystère qui la nourrit. On mesure alors à quel point la grâce de la mise en scène, l'habituel travail d'orfèvre du cinéaste [la BO brillante, la précision des décors, des costumes, du cadre] servent un récit sombre et angoissant. En revenant sur le parcours de sa mère, cette superbe Eve Connor, Kat réalise à quel point cette femme a porté en elle le terrible sentiment du ratage.
Le casting est exceptionnel. Shailene Woodley est parfaite, Eva Green grandiose, Shiloh Fernandez impeccable en jeune couillon. C'est encore une qualité du cinéma d'Araki.
Alors oui, White bird est un peu décevant, mais c'est quand même un beau film !