Se transcender pour exceller
Un film qui met en scène un duel psychologique entre un professeur et son élève. Avec un professeur qui rêve de voir surgir (et de former lui-même) le nouveau « bird » du jazz en n’acceptant de ses élèves que l’excellence. Et un élève qui tente de réaliser son rêve : devenir l’un des plus grands du jazz ; en cherchant la reconnaissance du milieu, et avant tout celle de son professeur.
De nombreuses critiques se focalisent sur cet aspect du film, la tension psychologique entre les deux protagonistes qui, je l’avoue, a contribué à me maintenir en haleine, et m’a empli d’émotion.
Je souhaiterais cependant évoquer l’autre aspect, peut-être plus philosophique, du film qui traite de l’art et de ceux qui le font. Pour commencer, malgré leur position et leur statut distinct, je vois deux personnes qui recherchent la même chose : élever leur art, le sublimer. L’un voudrait rencontrer l’excellence, l’autre voudrait l’incarner.
A mon sens, c’est un film qui propose une réflexion sur la performance artistique et la notion d’artiste. La performance artistique devrait être une recherche de l’excellence permanente dans l’interprétation, à la fois par la maîtrise de son art, ici de son instrument, et la créativité, l’originalité qui permet de se démarquer de ses pairs, voire de créer un style authentique, totalement innovant. Tel est ou devrait être le but d’un "vrai" artiste.
Pour le musicien, en tant que performer, cette quête d’excellence est synonyme de dépassement de soi dans l’exécution de son art, de la pratique de son instrument. Cet effort permanent de vouloir s’améliorer s’accompagne bien souvent de douleur physique et morale, elles-mêmes dépassées et anesthésiées par la force mentale, la volonté de persévérer et finalement la satisfaction temporaire du résultat. Si je devais retenir un mot pour qualifier ce film, je parlerai de transcendance. C’est bien là que se situe le film. Se transcender pour exceller. Et c’est ce que recherche l’élève en acceptant de s’isoler (relations personnelles impossibles) et de souffrir pour y arriver. Mais aussi le but du professeur, qui maintient une pression psychologique, certes malsaine et destructrice pour qui n’a pas la force de le supporter (et cela ne veut pas dire qu’une personne ne pourra pas s’accomplir dans un autre domaine, ou être très bon dans le sien), mais qui lui semble la condition nécessaire à l’atteinte de ce résultat. On ne devient pas le meilleur en se satisfaisant d’un travail médiocre (au sens de moyen). Tel est le credo du professeur Fletcher, exprimé clairement par sa haine du « good job ». Les plus grands musiciens, artistes, ne se sont pas hissés à ce rang en se contentant de leur travail, ou de la reconnaissance qui leur étaient renvoyés par leur public.
Si vous êtes de ces personnes qui voient le professeur Fletcher comme un sadique, persécuteur moral plus qu’un entraineur vers la perfection, ce film risque de vous déranger un peu, au moins sur ce point. Si vous êtes de ceux qui visent, depuis leur enfance à l’école, la place de premier, avec l’envie de vomir de n’avoir été que 2ème, vous comprendrez exactement l’état d’esprit d’Andrew, car vous ne verrez pas le traitement du professeur comme une torture, mais comme un mal nécessaire, un puissant stimulateur pour progresser encore et encore. Vous ressentirez alors l’effort douloureux vécu par Andrew comme une jouissance intérieure que vous saurez transposer à vous-même, et son aboutissement comme une délivrance, même temporaire.
Finalement, c’est peut-être un film pour les éternels insatisfaits, les perfectionnistes. Ou simplement les passionnés, en admiration.