Lever du rideau.
Des tuyaux, des ruines, de la rouille. Des murs de briques qui s'effritent, du linge accroché sur des fils, des rues aux pavés disjoints.
Puis un claquement de doigts. Qui se propage de rues en rues, de mains en mains. Et d'échos en échos, il envahit tout le quartier délabré. Accrochés aux doigts qui claquent en rythme, des corps qui se répondent. Puis toute une bande. Une bande de descendants d'Européens paumés qui se croient maîtres en ces rues. Qui se pensaient barons du quartier, avant l'arrivée des autres. Oui, les autres. Ceux qui ne parlent pas anglais. Ceux qui dansent. Ceux qui travaillent en regardant d'un mauvais œil ces voyous danseurs qui s'échinent à effacer toute trace de l'invasion pourtant déjà terminée.
Les corps se croisent, se jaugent. On est méfiants dans les bas-fonds, on sait que personne n'a rien à perdre, ce qui rend tout le monde dangereux. Dangereux et désabusé. Incapable de rêver plus loin que le bout de la rue. Plus loin que le bloc de la 72e.


New York n'a rien de la Big Apple. C'est une toile de fond poussiéreuse et rouillée. Mais parfois, ses rues sordides se transforment en tableau. En lieu et place d'affrontements, c'est le jeu des corps qui se déroule. Les robes rouges, jaunes, bleues se déploient comme autant de pétales incapables de fleurir sur le bitume. Pour un instant, les tissus cachent le béton.


Et puis les forces de l'ordre arrivent. Elles ne croient pas en leur mission. Elles ne se pensent ni bonnes ni mauvaises, elles tentent juste de maintenir un semblant d'ordre en attendant la démolition. Le quartier sordide doit retourner à la poussière pour laisser place au monde de ceux qui ont réussi. Les seuls à pouvoir se targuer d'être de vrais Américains.
Quelque part, quelqu'un pense qu'une soirée de danse peut rapprocher tous ces traînes-la-grolle. Alors le gymnase se part de lumières et chacun vient, espérant trouver non la danse mais l'occasion de poursuivre la guerre de territoire.


Évidemment, il y a lui. Et puis il y a elle. Comme dans n'importe quelle belle histoire d'amour un simple échange de regards leur suffit. Évidemment, on sait tous comment ça va finir. Peu importe, on leur crie d'en profiter tant qu'ils le peuvent. De ne surtout pas se lâcher. De ne pas perdre une seule occasion de se noyer dans le regard de l'autre!


Dès lors, la suite est inéluctable. Ils se croisent. Ils se défient. Les corps se font plus durs, plus tendus. La sueur coule sur tous les fronts et chacun se prépare. Chacun prépare la dernière bataille en anticipant un triomphe. Aucun ne fait quoi que ce soit d'autre que de se rapprocher de la poussière.
Puis la poussière.
Puis le sel.
Puis le sang.


Et cette dernière tâche condamne le quartier. Elle est indélébile et tous la portent sur eux, en eux. Ceux qu'on avait négligés. Ceux qu'on avait cru pouvoir écarter sans l'ombre d'un remord. Celles qui à force de mauvais traitements ne peuvent plus oser leur rêve. Celles qui pour le restant de leur vie attendront simplement que tout passe, que tout cesse.


Rideau.

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le 3 janv. 2022

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