Antonio Tibaldi revient à la barre, 20 ans après ses premiers long-métrages (On My Own, Little Boy Blue, Claudine's Return) et c’est uniquement pour le plaisir d’un road-trip oxygénant. En tandem avec l’espagnol Àlex Lora au scénario, le réalisateur nous installe dans un quartier glauque et insalubre de Brooklyn, où le destin de deux êtres va radicalement changer. Sous le prisme du surnaturel, où les OVNI obnubilent les héros, le cinéaste australien en profite surtout pour illustrer une réalité sociale, vis-à-vis de l’immigration clandestine, du protectionnisme et de cette fatalité qui lie ces marginaux, en déphasage avec la société. C’est en comptant sur une bonne expérience en documentaire, qu’il parvient à injecter cette atmosphère de l’étrange dans un film noir urbain, avant de s’ouvrir sur de grandes plaines, qui nous pousseront davantage à nous tourner vers le ciel.


Pourtant, le récit se situe dans l’entre-deux, à mi-chemin entre les croyances de Salomon (Jorge Antonio Guerrero) et la mort ambiguë de sa mère. Travaillant dans une recyclerie, il met à profit son énergie afin d’élucider ce mystère qui le hante. Si l’on nous donne à croire qu’il y a une possibilité pour que l’on vire instantanément vers une rencontre du troisième type, c’est bien sûr grâce à l’acuité de la caméra. Légère et flottante, elle nous évoque une force invisible ou sans visage, qui ampute toute tentative de fuite des protagonistes. Elle aura pourtant lieu, à la rencontre de la chinoise Chuyao (Xingchen Lyu), s’occupant dans un salon de manucure ou sous le joug d’un geôlier d’escort girls. Sans réelle identité dans ce monde qui n’est pas le leur, on souligne la difficulté d’intégration, mais également la désintégration de tout espoir d’y parvenir.


La ville est souvent vue de nuit, avec une vision verticale obstruée par les donjons de bétons et de verre. Mais l’appel de l’inconnu est plus fort et profondément plus humain chez ce duo, qui choisisse de se rapprocher de leur point commun, à savoir un certain intérêt pour ces inexplicables objets volants. On sillonne alors les routes du Nevada, de jour comme de crépuscule et c’est un grand moment de respiration et de réflexion. Le doute commence à gagner du terrain, jusqu’à relativiser toute la métaphore posée par les scénaristes, mais juste avant qu’une réponse ou non soit annoncé, on coupe court à l’éventuelle frustration qui s’en dégage. Cette dernière partie est une double exposition des maux des Etats-Unis et ses frontières, physiques morales et sociales. La tolérance ne lavera pas vraiment ces héros de leur condition et de leur obsession d’un autre monde. Mais si l’on s’approche assez de leurs émotions, nous parviendrons certainement à observer le même environnement, tantôt angoissant, tantôt optimiste.


C’est avec une grande surprise et une certaine ironie que « We Are Living Things » survole les planches de Deauville, tel l’OVNI qu’il tente de caractériser. Il est à deux doigts de toucher à son but, un suspense ou une émotion, qui rendrait cette fable intemporelle mémorable. Tibaldi préférera jouer au funambule sur la frontière de ses propos, délivrant par la même occasion une excursion, au cœur de la tendresse et d’un contact humain qui semble se perdre un peu plus dans les ténèbres du quotidien.

Cinememories
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le 16 déc. 2021

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