Huit années ont passé depuis le choc que fut le documentaire Tarnation signé de Jonathan Caouette. Autant dire qu'on attendait avec une impatience grandissante des nouvelles du jeune prodige de Houston qui, dans son premier travail documentaire autofictionnel compilant les images qu'il avait filmées depuis l'âge de 11 ans, avait indéniablement trouvé dans le cinéma la possibilité d'une catharsis et le meilleur moyen de démêler l'histoire compliquée et traumatique de sa vie personnelle.

Contrairement à Tarnation où Jonathan Caouette n'apparaissait presque pas, retranché derrière la caméra comme rempart et comme exposition de son point de vue, la démarche utilisée pour l'élaboration de Walk away Renée le montre, en compagnie de sa mère, Renée Leblanc, devant la caméra, laissant ici le soin à sa petite équipe de tourner. La première œuvre du texan était une avalanche d'informations et d'images, s'apparentant en quelque sorte à un trop-plein d'émotions et de sensations impossible désormais à canaliser et qu'elle permettait dès lors de vider en un débit de mitrailleuse qui pouvait en effet surprendre, décontenancer et peut-être faire fuir. Aujourd'hui, Walk Away Renée, nouveau projet documentaire qui pourrait bien marquer la fin de la trajectoire amorcée depuis l'enfance et permettre ainsi à son initiateur d'envisager des œuvres de fiction et d'aborder d'autres genres, se concentre sur le personnage – forcément pivot – de la mère.

Son parcours infiniment tragique et ironiquement romanesque aurait pu inspirer cinéaste ou écrivain ; que ce soit son fils dont l'enfance, de familles d'accueil aux grands-parents qui finissent par le récupérer et l'élever, et l'adolescence chaotiques furent marquées par l'impossibilité de Renée d'assumer son rôle de mère et d'éducatrice prend bien sûr une dimension encore plus émouvante. Jolie fille promise à un bel avenir, Renée fit une chute qui la maintint paralysée pendant quelques mois. Pour écourter le temps de son immobilité, elle fut soumise à des séances répétées d'électrochocs qui eurent pour effet de la rendre schizophrène et la proie d'importants troubles mentaux. Son existence se résume depuis à des séjours récurrents dans des institutions psychiatriques, à la prise de psychotropes qui va occasionner aussi une overdose au lithium et à son incapacité à rester seule. Walk away Renée revient plus précisément sur le voyage qui, de Houston où elle végète dans une maison spécialisée à New York où Jonathan vit avec son boy-friend David et son fils Joshua, sert aussi de prétexte à revisiter la terrible histoire de Renée et en pointillés celle de Jonathan.

Avancer que le film est bouleversant, suffocant d'intensité, débordant d'amour et de compassion, qu'il vous submerge et vous anéantit relève quasiment de la tautologie. Renée dont on constate avec effroi les métamorphoses physiques provoquées par les thérapies inappropriées et la répétition des internements devient en quelque sorte la 'femme sous influence' de Jonathan Caouette comme Gena Rowlands fut celle de son mari réalisateur John Cassavetes en 1974. Si toutes les deux sont effectivement des victimes d'un système psychiatrique incompétent, juste bon à administrer des drogues, elles ne sont pas approchées, cela va de soi, de la même manière. Pour des raisons d'époque, de lien, d'opposition entre fiction et réalité. La version de Jonathan Caouette pourrait bien être une version postmoderne et sous acide comme il le déclare lui-même. Collecteur sans relâche d'images et de vidéos, le cinéaste continue d'en faire son principal matériau mais il le ponctue de moments plus sereins filmés à l'intérieur de la camionnette de déménagement qui traverse la Louisiane, le Mississippi et le Tennessee avant de parvenir à New York. Le défilement accéléré des nuages et des ciels plombés – il pleut à verse le plus souvent – est comme un clin d'œil à Gus Van Sant qui produisit Tarnation.

Si prendre en pleine face la dégradation de Renée, de moins en moins contrôlable, et devant donc être prise en charge par un fils patient, est une déchirure, on n'est pas moins désolés de voir que le sexy Jonathan s'est transformé en garçon empâté, aux tifs gras et mal fagoté. Comme si d'évidence le mal-être et l'état de sa mère en constante dégradation rejaillissaient sur lui dans un transfert logique de souffrance et d'usure. D'une façon décalée qui instille un peu de cocasserie dans un film lourd et poignant, le périple entre le Texas et la côte Est voit Jonathan parlementer des heures au téléphone avec les médecins pour obtenir une ordonnance pour remplacer les pilules égarées de Renée. L'énergie de Jonathan, le don de sa personne qu'il ne remet jamais en doute sont autant de preuves d'amour. Au cours du film, il confesse n'avoir jamais pensé un seul instant qu'il ne pouvait être aimé. Le message simple et universel d'amour qui conclut Walk away Renée en constitue le plus beau témoignage. Avant de l'entendre, il vous faudra accepter pendant une heure trente d'être bousculés, chavirés, secoués et touchés au plus profond de votre être. Ça vaut cependant le coup...
PatrickBraganti
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le 1 mai 2012

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