mars 2012:

Sacré Luis! Foutu fouteur de merde! Avec ce film d'une rare et ô combien réjouissante insolence, le maître espagnol prêche un spectateur converti, ce film n'est donc alors pour ma pomme qu'une simple et belle partie de plaisir, car le ton radical ne cache pas très bien le regard ou l'attitude foncièrement enfantine, une espèce d'espièglerie de garnement.

Nombreux sont les plans équivoques, sexuellement, bien entendu. Sourire requis qui sait mettre du sel sur la plaie des incohérences bigotes. Bunuel savoure le fait que sa provocation va d'abord faire bouillir, puis exploser la marmite catho et mortifère de l'Espagne franquiste. Suicide, viol, désir, inceste, triolisme, charité, exclusion, le film charrie son lot de thèmes qui touchent de près ou de loin les tabous fondamentaux, comme les préceptes religieux.

Le personnage jouée par la très belle et généreuse Silvia Pinal rappelle ces héroïnes sadiennes qui se réfugient dans la religion, la prière, la vertu et l'innocence pour échapper au vice, au mâle, à la nature, à tout ce qui les rattache à l'animal, au corps, à la matérialité si basse et si caca, beurk.

Elle est indéniablement pourchassée par une engeance bien moins vertueuse qu'elle, mais plus humaine. Ça sent sous les aisselles. Passant des assiduités d'un Fernando Rey profondément vicelard à celles d'un groupe d'individus marginaux mais les pieds dans le concret, son destin la pousse toujours vers la tentation. Impossible de fuir sa condition de femme. Le sort s'acharne. La culpabilité la ronge sans cesse. Un ange pris dans les griffes du grand Satan ou une femme qui découvre dans la douleur que "le corps, ce n'est pas sale".

Toute son action bienfaitrice, toute l'abnégation qu'elle a démontré dans son œuvre caritative n'est pas payante, bien au contraire. Et c'est ce que j'aime chez Bunuel, cette emprise implacable de l'histoire sur les personnages, qui dès lors s'étend au spectateur, à leur raisonnement, à leur jugement.

Un film de Bunuel se révèle souvent une démonstration très difficile à contrer. Bien entendu, le scénario fait saillir son argumentation avec une verve aussi percutante que partisane, cependant si l'on veut bien accepter a priori de suivre le trajet de Silvia Pinal, difficile de ne pas accepter l'aboutissement : il est logique, somme toute. La nature reprend ses droits, comme un printemps. A la négation absurde et stérile se substituent les forces de vie.

En surréaliste patenté, Bunuel use et abuse de symbolismes mais n'hésite pas à plonger parfois dans le vif, dans le figuratif. Son propos est clair, ouvert aux non initiés du mouvement. Le film est parfaitement lisible, d'une très belle clarté.

Malgré une structure en deux parties, les scénario dégage une cohérence d'ensemble très appréciable. La première partie ressemble comme deux gouttes d'eau à l'histoire que Bunuel racontera plus en détail dans "Tristana" ; la seconde nous réserve la lente et difficile transformation de la chrysalide, le papillon étant laissé à notre imagination avec cette proposition de jeu de cartes à trois pour l'après-film.

Un très bon Bunuel, piquant, anti-clérical, hédoniste à souhait.
Alligator
8
Écrit par

Créée

le 20 avr. 2013

Critique lue 819 fois

7 j'aime

Alligator

Écrit par

Critique lue 819 fois

7

D'autres avis sur Viridiana

Viridiana
Sergent_Pepper
8

Sous les meilleurs hospices

« J’aimerais ne pas revoir le monde » : le souhait, formulé par Viridiana, qui s’apprête à prononcer ses vœux pour une réclusion totale au couvent, est déjà en soi une forme de provocation par...

le 9 févr. 2021

25 j'aime

Viridiana
Watchsky
9

Un Scandale

1960. Après plus de 25 années passées en exil au Mexique, Luis Buñuel revient en Espagne, sa terre natale, pour y réaliser Viridiana. Ce qui aurait dû être un retour triomphal de l'enfant du pays va...

le 7 mai 2021

16 j'aime

7

Viridiana
Templar
8

Palme d'Or 1961

La Palme et la religion : Cannes est souvent le terrain de bien des protestations, les huées et les sifflets, les gens qui sortent de la salle pendant la séance... Le public a ses caprices, et les...

le 22 déc. 2011

15 j'aime

1

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime