Le postulat est d'une franche originalité, à laquelle on veut donner sa chance ; le reste est peut-être censé nous plonger dans l'expectative, il laisse plutôt circonspect, voire désolé ; mais sans rancune, car tout ça est gentil. Réputé pour ses courts, Thomas Salvador se met lui-même en scène dans son premier long-métrage. Il interprète ce Vincent falot mais paré de super-pouvoirs : il nage littéralement comme un dauphin et sa force est décuplée de manière sur-humaine au contact de l'eau.


Mais même l'exploit caché (le côté dauphin musclé sous la carapace de mollusque) est sans effet. La transformation n'apporte pas plus de force manifeste ; quand il nage, de façon si vive et anormale, ce n'est pourtant pas impressionnant. La faute à ce corps tout 'plat', aveugle, rigide, inexpressif. Vincent pourrait mettre King Kong à terre qu'il y aurait toujours cette impression d'être pressé à contempler un zéro. Un zéro avec un gros outil. Il reste le mec le moins... on en perd les mots ! Lorsqu'il faut écrire, tous les mots, toutes les estimations deviennent excessives : c'est pas le type le plus remarquablement vain ou inintéressant, ça interpellerait. Y a rien, juste rien, avec bien sûr l'attirail élémentaire autour (peau, ongles, vanité, usage de la parole – quoique défaillant).


Et autour ce n'est pas mieux. Les gens sont tous des hurluberlus penauds, mollassons besogneux, lunaires.. S'agit-il d'inspirations anti-naturalistes, d'une filiation revendiquée avec le Nouvelle Vague, d'une aspiration à faire de ses personnages des cloches incapables de retentir ? Tous semblent au ralenti ; la nature et les décors n'ont pas de répondant et on ne leur en prête pas. Les paysages sont jolis et ça suffira. D'ailleurs ce flottement extrême, aux sujets fantômes et à l'objet pour le moins minimaliste, pose vite problème. Le film a beau ne durer qu'1h18, on réalise rapidement qu'il n'y aura à peu près que dalle à glisser dedans. Et c'est confirmé, pire : les efforts semblent proscrits ou résiduels, il y a à peine des saynètes bouche-trous, juste des petits tableaux, improbables ou triviaux, de temps en temps.


Salvador est un auteur franc : il n'a pas peur de l'improbable (notamment lors des scènes où il s'ébroue dans l'eau), du ridicule encore moins – à moins que l'enthousiasme ne fasse perdre pied. En même temps, au-delà de l'anecdote, les points bonus pour l'originalité ne tiennent plus. Il y a ce côté hiératique complètement encadré, cette vacuité souriante, propres aux films indépendants français jouant la carte 'expérimentale' sans jamais décoller (ce qu'au moins Bird People savait faire, fidèle à un délire un peu plus nourri). Au-delà de la trouvaille qui pose le film, où veut-on en venir ? Que dis-t-on ? Que raconte-t-on ? Dans pareil cas, se le demander ce serait déjà sur-interpréter. Le spectateur finit par ressentir une abondance de sensations, parce qu'il est confronté à une proximité avec le vide ; le film en deviendrait, pas stimulant directement certes, mais presque vénérable, bien que par en-dessous (un peu comme quelqu'un deviendrait indispensable car ses conneries auraient la vertu de faire contraste) !


Plutôt que des initiatives on trouve Vincent. Il est dans presque tous les plans et pourtant c'est à peine si on le remarque. C'est la clé de cette étrange séance : un sujet sans 'présence' est objectivement omniprésent. Vincent est un type tellement invisible que si on relâche un peu notre attention on croit qu'il l'est devenu littéralement. Si on ne zoomait pas sur lui et le foutait pas seul au premier plan, on oublierait qu'il est là et que c'est de lui dont il est question. Et tout ça est peut-être cohérent avec le concept à la source de cet essai. Salvador veut-il indiquer que les super-pouvoirs que Vincent s'octroient génèrent un plaisir solitaire, un sentiment d'évasion, au lieu de permettre l'affirmation (dont il n'aurait d'ailleurs pas besoin) ? Pourtant Vincent arrive bien à tromper son monde et à épater sinon la galerie, au moins une fille ; puis il lui faut fuir, son cadeau mirifique étant empoisonné. Vincent a probablement été recalé au casting de Chronicle et refuse d'accepter la réalité.


On pouvait bien vouloir y croire, mais à force il faut y venir : ce film est taillé à la gloire d'un type, par lui-même et apparemment pour lui-même avant tout ; c'est un petit trip indé bricolé, totalement creux – ou alors avec des sens cachés qui seront jamais communiqués, sauf à soi-même ou à ses proches.. Les scènes érotisantes ont le mérite de réveiller le chaland et sûrement de faire plaisir à Vincent. Pourtant on finit par apprécier doucement, par dépit et légèreté. C'est pas qu'il y ait de quoi y croire, mais cette balade sous morphine a son charme. On retrouve les petites cités de la Provence, en plus placides et 'nettes' qu'en vrai ; il y a de jolis plans, quelques inspirations bien senties. Éprouver un attachement est compréhensible, un intérêt superficiel pendant la course-poursuite envisageable.


L'humour niaiseux délibéré et l'inévitable prise de recul allègent le fardeau, forcent à considérer le film pour ce qu'il est : un machin résolu mais gentil, pondu dans le désert sans avoir rien à prêcher. Vincent n'a pas d'écailles est une propagande peut-être moins ratée qu'ouvertement fébrile, au service d'une sorte de barrique de coton de vivant. Il est effacé et il a son monde à lui, un monde de toute-puissance meublant sa solitude et donnant un poids à son être apparemment atrophié. En fait Vincent est l'antihéros qui veux vous prouver le contraire avec un argument empirique et en provoquant votre pitié ; comme un chaton dans une mauvaise posture chercherait à vous attendrir pour être sauvé ; ou un puceau tardif brandissant ce qui fait guise dans son 'univers' de 'sensibilité' pour enfin être pris en charge par une fille énergique et affable. Prochaine étape : les antihéros implorant la charité pour rendre crédible leur déguisement d'ubermensch ?


https://zogarok.wordpress.com/2015/12/22/vincent-na-pas-decailles/

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le 20 déc. 2015

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