Dés les années 90, les frères Wachowski (Matrix) envisagèrent d'adapter la bande dessiné V pour Vendetta d'Alan Moore et de David Lloyd sur grand écran, les deux hommes éprouvant un vif engouement pour cette dernière. Mais c'est durant la post-production de Matrix, et après remaniement du scénario, que les Wachowski confièrent la réalisation de leur projet à leur assistant James McTeigue, qui signe ici son premier long-métrage. Si le comic original évoluait dans les années 80, et dénonçait le gouvernement britannique conservateur et autoritaire de Margaret Thatcher, Larry et Andy Wachowski ont eux choisis d'amener l'intrigue dans un futur proche. On y découvre une Angleterre austère, en l'an 2038, dirigé d'une main de fer par le fasciste Adam Sutler qui, après plusieurs attentats biologiques, profita du climat de peur pour accéder au pouvoir et instaurer un régime dictatorial. Sous le joug du chancelier teigneux, la population léthargique semble s'être accommodé, ou du moins ferme les yeux sur les couvres-feu, la milice, l'incessante propagande télévisuelle, l'exil des musulmans, la persécution des minorités (homosexuelle notamment) et des opposants... Un régime qui présente d'étroites similitudes avec celui du troisième Reich, tant par sa discrimination et sa sévérité, que par la personnalité de son chef d'État. V pour Vendetta rappelle ainsi que, si on ne prend pas garde, l'histoire peut un jour se répéter. Mais la référence historique majeure du comic, et donc du film, réside dans la conspiration des poudres, qui a eu lieu le 5 novembre 1605 en Angleterre. Il était question d'un plan, qui échoua, avec pour but de faire exploser le Palais de Westminster, en guise de protestation contre l'intolérance religieuse du gouvernement vis à vis des catholiques. Une véritable source d'inspiration pour notre personnage principal répondant au nom de "V", comme le suggère son masque qui emprunte les traits du visage de Guy Fawkes, l'homme responsable du complot. V choisira d'ailleurs la date du 5 novembre pour orchestrer un attentat contre le gouvernement, appelant ce jour-là la population à se soulever contre l'oppression. L'histoire de V est tout aussi mystérieuse que sa personnalité est complexe. L'homme masqué apparaît comme être à la fois un gentleman raffiné, très charismatique et instruit, ainsi qu'un justicier solitaire, froid et violent, déterminé à éveiller les consciences en vue d'une révolution. Un super-héros comme on a peu l'habitude d'en voir. Mais c'est au fil de l'intrigue, que l'on cerne mieux les motivations de V, qui fut un temps persécuté et mutilé tel un rat de laboratoire par le régime de la Norsefire. A l'instar du comte de Monte-Cristo, V n'aura de cesse d'appliquer se vengeance, quelque soit les dégâts causés sur son passage, car pour lui, la fin justifie les moyens. Le long-métrage évite ainsi tout manichéisme, les actions de V pouvant être sujet à controverse, car pas forcément justifiables aux yeux de tous, s'apparentant à du terrorisme. Mais sur son destin vengeresque, le chemin de V va croiser celui d'Evey, une jeune femme qu'il va prendre sous son aile. Une relation ambiguë va alors se nouer entre les deux individus, Evey devenant sa disciple, son amie, et même davantage. Elle va faire resurgir l'humanité qui sommeille en V, l'amenant même à de courts moments de faiblesse. On comprend alors que même si V incarne avant tout une idée, l'individualisme et la défiance, derrière le masque se cache malgré tout un homme. Après le départ en plein tournage de James Purefoy, ce fut finalement Hugo Weaving qui endossa la tenue noire et le masque au sourire figé. Une prestation délicate, car uniquement basée sur la voix et la gestuelle, mais que l'acteur a parfaitement su s'approprier. Sa partenaire de jeu Natalie Portman, fraîchement sortie de l'aventure Star Wars, livre une jolie performance et qui, pour l'occasion, a appris à maîtriser l'accent anglais et surtout, s'est rasée intégralement la tête. Dans les rôles secondaires on retrouve, pour ne citer qu'eux, Stephen Rea en flic dépassé par son enquête, et John Hurt dans le rôle du tyrannique chancelier, à contrario d'ailleurs de son rôle dans 1984 où il incarnait une victime d'un gouvernement totalitaire. Côté mise en scène, on regrettera un manque de surprise de la part de James McTeigue, manquant d'un quelque chose d'angoissant, d'étouffant pour que l'illusion soit parfaite. On retiendra néanmoins l'intensité de la scène finale, qui est réellement formidable. Le plaisir demeure intact, grâce bien sûr au scénario du comic revisité par les frères Wachowski, qui réserve son lot de scènes d'actions efficaces, d'autres plus intimes et déconcertantes, enchaînant les rebondissements, avec en prime un stupéfiant twist en milieu de parcours. Mais V pour Vendetta, c'est aussi des dialogues inspirés, à l'image du fantastique monologue de V au début du film, avec pas moins de 55 mots commençant pas la lettre V. Pour conclure, le long-métrage se trouve être une adaptation réussie, qui malgré les libertés prises vis à vis du comic, parvient à respecter les thèmes de ce dernier, même si le propos anarchiste se fait moins prononcé. Une dystopie au message politique malheureusement contemporain, qui met en avant les dangers pour un peuple de se laisser séduire par un État sécuritaire, au risque de nuire à l'individualité et à la liberté de tout un chacun. Voilà un blockbuster intelligent, subversif, qui ravivera la flamme du petit révolutionnaire qui sommeille peut-être en vous.
JulieTournier
8
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le 9 avr. 2013

Critique lue 299 fois

Julie Splack

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