Il faut parfois mettre de côté certains facteurs pour laisser sa chance à une œuvre. Nul doute que la comparaison entre le roman graphique et son adaptation le fera basculer dans du côté obscur de la note. Pourtant, pris isolément par un spectateur qui ne connaîtrait pas son encombrant modèle, V pour Vendetta se défend plutôt bien.


Certes, c’est avant tout à son scénario profus qu’il doit son intérêt. De la découverte progressive d’une société dystopique au portrait complexe d’un justicier masqué, de l’initiation à l’engagement résistant au décryptage du néofascisme, le film explore simultanément plusieurs pistes avec un joli sens de l’équilibre. C’est d’ailleurs avec un calme certain qu’il construit son édifice, encadré par deux explosions lyriques en diable, sur un Tchaïkovski tonitruant. On est par exemple étonné de l’atonie des deux flics sur les traces de V, de même que les longues discussions avec Evey prennent le tour de cours de philo dans un alcôve, musée clandestin à l’abri du monde. De ce fait, le film est très british et y gagne un ton singulier qui l’éloigne des traditionnels blockbusters, le rapprochant d’un autre chant crépusculaire de la civilisation, de loin supérieur il est vrai, Les fils de l’homme. La condamnation est généralisée, du règne de la télévision au big brother, des accointances entre industrie, fascisme et Eglise, la société dépeinte renvoie à celle de Brazil, mais sans l’humour, et avec cette conviction un peu plus naïve d’un possible infléchissement des événements.
Ce qui pourrait sembler être une mauvaise gestion du rythme finit par servir l’ensemble : assez ténu, sombre et lucide, le film est en réalité au diapason de cette préciosité britannique de V, qui parle comme dans une pièce de Shakespeare et se voudrait l’un des rares survivants de l’espèce humaine d’avant la chute.


De ce fait, V pour Vendetta est davantage une utopie qu’un blockbuster : cette volonté de croire à l’humanisme et à la possibilité d’éduquer les foules, ce chant d’espoir et d’amour presque gothique, sorte de Fantôme de l’Opéra timoré où les sous-sols d’un monde à la dérive promettent des lendemains meilleurs.


On aurait envie d’y croire, d’autant que le film nous donne un argument imparable par la présence d’une chanson de Richard Hawley : oui, la beauté subsiste.

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Blockbuster, Les meilleurs films de vengeance, Vus en 2015, Revus en 2015 et Les meilleures apparitions de personnages (liste participative)

Créée

le 24 oct. 2015

Critique lue 2K fois

55 j'aime

7 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2K fois

55
7

D'autres avis sur V pour Vendetta

V pour Vendetta
Hypérion
8

Critique comparée film & Comic : Bon film, mauvaise adaptation.

Attention, longue critique. Si vous n'arrivez plus à lire des scribouillis de plus de 140 caractères agrémentés de #, passez votre chemin. J'ai découvert le V pour Vendetta avant le comics. J'ai revu...

le 11 juin 2011

180 j'aime

53

V pour Vendetta
Chuck_Carrey
9

"J'ose en homme. Qui ose plus n'en est point un."

"En revanche, cette vieille vexation se voit vivifiée et se voue à vaincre la vénale et virulente vermine visant vice et la vorace violation de la volonté ! Seul verdict valable : la vengeance. Une...

le 25 oct. 2014

110 j'aime

21

V pour Vendetta
Sergent_Pepper
7

Utopia for the devil

Il faut parfois mettre de côté certains facteurs pour laisser sa chance à une œuvre. Nul doute que la comparaison entre le roman graphique et son adaptation le fera basculer dans du côté obscur de la...

le 24 oct. 2015

55 j'aime

7

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

764 j'aime

103

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

698 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

612 j'aime

53