Souffrances au sein des urgences psychiatriques

J'ai revu ce documentaire suite à la liste de Gallu qui m'a redonné envie de revoir Depardon. J'ai un coffret à la maison, donc c'était très pratique pour moi. Je remercie donc Gallu chaleureusement !


Le documentaire a été tourné aux urgences psychiatriques de l'Hôtel Dieu en 1988.
Depardon revendique dans un interview (que j'ai trouvé dans les bonus) son absence de jugement quand il a tourné ces moments de déroute, de désespoir, de souffrance de ces personnes amenées là, soit par les forces de police, soit par les pompiers (souvent suite à une tentative de suicide), soit sur prescription médicale, soit d'eux-mêmes. Mais ce dernier cas semble plutôt rare.
On peut ainsi observer successivement un jeune femme ayant cassé une vitrine d'un bar (elle est SDF et enceinte), un chauffeur de bus qui a pété les plombs (à cause du stress engendré par son travail), un femme qui vient de faire une tentative de suicide, un homme alcoolisé en pleine confusion, un vieil homme qui dit qu'il veut mourir et demande une hospitalisation (il arrive avec sa valise avec du linge pour un mois !), une femme qui hurle (notamment contre la caméra) et demande qu'on lui rende son enfant, un homme qui ne cesse d'injurier la psychiatre, une jeune femme en plein délire de paranoïa et de crise mystique etc.
Dans la majorité des cas, on ne voit les patients qu'un seule fois mais il y a une exception : les séances de psychothérapie d'une femme qui a été hospitalisée plusieurs fois dans le service et qui a des hauts et des bas. Là, le suivi rend compte du travail du psychiatre, le Dr Grivois, chef du service. Il est frappant d'être spectateur des errements de cette femme, de sa souffrance, de ses progrès, de ses phases successives d'amélioration, de descente etc. On rentre vraiment dans l’intimité du sujet, comme d'ailleurs dans toutes ses séquences.


Depardon indique que l'assistance d'une ingénieure du son qu'il a employé pour la première fois pour filmer, lui a permis de prendre de la distance par rapport à la scène filmée; il s'est mis plus ou moins en retrait, selon les situations. Tout est affaire de distance, explique t-il, comme dans la photographie, lui qui est un grand photographe. Il commente une scène particulièrement éloquente dans laquelle une femme dit qu'elle a été violée très jeune et explique qu'elle a des difficultés avec son enfant. Et justement, comme le remarque Depardon, alors qu'il n'y a jamais d'enfants dans les couloirs de ce service, on entend un enfant parler et crier tout au long de la scène, comme une sorte d'apparition. Selon lui, ce fut un grand moment d'émotion et on le ressent dans la séquence.


Bref, si vous avez manqué ce documentaire et que vous vous intéressez à ce thème, ne le ratez pas. Il peut paraître un peu daté mais il reste d'actualité par bien des aspects.


PS : J'ai eu l'occasion de voir il y a quelques années au théâtre une pièce de Zabou Breitman, intitulée "Des gens", écrite d'après "Urgences" et "Faits divers" (chronique de la vie d'un commissariat du Ve arrondissement de Paris, 1983).
Zabou Breitman assure la mise en pièce de la pièce tout en y interprétant tous les rôles principaux féminins aux côtés de Marc Citti qui interprète les personnages masculins.
« Depuis qu'elle a vu Faits divers en 1983 et Urgences en 1988, Zabou Breitman est habitée par le souvenir de certaines présences », explique la production.
L'œil de la caméra est le témoin de dialogues sur le vif entre des médecins et leurs patients, voire entre des policiers et des prévenus, lors d'arrestations ou d'internements. « C'est pour le moins surprenant, drôle parfois, poignant, souvent marqué par une profonde détresse. »
Une véritable plongée en apnée au cœur du genre humain. « Ce sont des choses vertigineuses, commente Zabou Breitman. On découvre des gens perdus et qui essaient de s'en sortir, des univers parallèles. À chaque moment, je me dis que ça pourrait aussi être nous… »
De la à retranscrire pour le théâtre cette réalité filmée dans la vraie vie, il n'y eut qu'un pas. « La réalité du spectacle, c'est que ce n'est pas moi qui montre ces gens, précise Zabou Breitman. C'est moi qui montre Depardon qui montre ces gens. Il y a un discours indirect. C'est intéressant de se souvenir qu'au départ, il y a un documentaire. On ne peut pas occulter la caméra ou le micro qui sont des réalités au moment où ces gens parlent. Et évidemment, pour le spectacle, on se demande quelle est la position du public par rapport à tout cela. Est-il dans la salle d'attente ? »
(extrait du havre presse du mercredi 10 mars 2010).

Elsa_la_Cinéphile
9

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le 24 juin 2015

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