Le fascisme est mort : vive le communisme !

Quel film ! Quels acteurs !
A la Libération, les villages détruits réunissent parfois sous le même toit les collaborateurs pourchassés, les résistants de la dernière heure ou les communistes, de l’idéologue à la répugnante petite main couverte de sang en passant par le défenseur du peuple sincère. Tout ce beau monde se trahit, se dénonce, s’humilie, s’intimide et tente tant bien que mal de continuer à vivre, la guerre les ayant irrémédiablement changés, en bien - comme en mal, le plus souvent.
Le texte de Marcel Aymé (il date de 1948 ! quelle lucidité !) est magnifié par des acteurs comme on n’en trouve plus.
Une mention spéciale revient à Depardieu en tenancier de bar alcoolique qui se découvre poète en entendant les cours sur Andromaque de Racine donnés dans son bar, l’école ayant été détruite.
L’humour est souvent cruel mais tellement puissant ; il faut l’entendre déclarer « je suis bien obligé de reconnaître que le ( vin) blanc passe avant la poésie ». La beauté de la poésie de Racine lui étant tombée dessus sans préparation intellectuelle, il se rend compte qu’il peut faire des alexandrins, même s’ils n’ont pas tous 12 syllabes :
« Je ne bois que du blanc, depuis que je suis enfant ».
Il faut l’entendre s’écrier devant les gendarmes venus l’arrêter sur une fausse dénonciation de l’infâme communiste - homme de main joué mielleusement par Daniel Prévost : « Nom de Dieu de bordel de merde, depuis quand la poésie est au service de la marée chaussée ? » ( phrase depardienne ne se trouvant pas chez M. Aymé...) ou, en prison, rendu fou par son sevrage alcoolique : « en prison, c’est presque obligé : l’homme médite ».
Tous les acteurs arrivent à ce niveau du grand Depardieu. Luchini en idéologue communiste petit bourgeois qui ne s’est jamais sali les mains et qui, n’arrivant pas à corriger un membre encombrant du parti s’exclame : « il était si peu politique et tellement homme ».
Un collaborateur, face à un Michel Blanc communiste convaincu : « dans l’horreur, toutes les idées se valent ».
Galabru, enrichi honteusement durant la guerre, à son fils qui veut le dénoncer pour avoir entraîné la mort de l’innocent tenancier de bar : « quand je te vois : je me dégoûte ».
Noiret et Marielle passent dans cette galerie des horreurs comme des fantômes de l’humanité perdue.
On pourrait citer ainsi tout le texte d’Aymé, porté avec un brio impressionnant par des acteurs qu’il inspire.


Après la lecture du superbe roman de Marcel Aymé, je peux ajouter que le film est très fidèle au livre. Il laisse bien sûr de côté quelques réflexions et subtilités mais le jeu des acteurs le compense tout à fait. Les adaptations réussies n'étant pas si courantes, il fallait le souligner.

jaklin
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 7 déc. 2021

Critique lue 1.1K fois

35 j'aime

39 commentaires

jaklin

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

35
39

D'autres avis sur Uranus

Uranus
SBoisse
9

Pépé, c’était comment la Libération ?

Marcel Aymé ne manque pas d’audace pour publier en 1948 Uranus. Il éparpille, par petits bouts façon puzzle, le rassurant mythe gaulliste de la France unifiée et combattante, libérée et réconciliée...

le 16 juin 2016

34 j'aime

5

Uranus
Ugly
7

Fable grinçante

Après ses adaptations de Pagnol, Claude Berri livre une comédie dramatique d'après un bouquin de Marcel Aymé paru en 1948 qui raconte les règlements de compte entre plusieurs habitants d'une petite...

Par

le 8 janv. 2019

24 j'aime

4

Uranus
Val_Cancun
8

Un village français

"Uranus" dresse avec acuité et cynisme - mais non sans tendresse - le tableau de la France de l'immédiate après-guerre, dans cette période trouble que l'on a nommé "épuration". Anciens collabos,...

le 21 mai 2015

14 j'aime

5

Du même critique

L'Étranger
jaklin
8

L’ athéisme triste ou le triste athéisme

Après l’approche assez originale de Daoud, il est temps de revenir sur un devenu classique hors- norme : L’ Étranger de Camus. Tant il est me semble t’il aimé pour de mauvaises raisons : une langue...

le 22 août 2018

56 j'aime

91

Douze Hommes en colère
jaklin
9

La puissance du Bien

« 12 hommes en colère » est l’un des films que j’ai le plus vus, avec fascination, avec émotion. C’est un huis-clos étouffant donnant pourtant à l’espace réduit une grandeur étonnante – et le...

le 17 févr. 2019

53 j'aime

34

Les Français malades de leurs mots
jaklin
7

La langue chargée

Etudiant l’abâtardissement de la langue française , Loïc Madec met à nu une France « ahurie et poltronne ». De la culture populaire au jargon des élites, la langue révèle le profond affaiblissement...

le 26 juil. 2019

49 j'aime

125