En 1985, Roger Moore fait ses adieux au personnage de Bond dans Dangereusement vôtre. L’heure est au remplacement de l’acteur par un nouveau visage. Plus jeune si possible. Vingt ans avant le Casino Royale avec Daniel Craig, les scénaristes envisagent même de rebooter la saga en imaginant une intrigue voyant James Bond vingtenaire, héritant du matricule 007 par le sacrifice de son mentor qu’il se met en devoir de venger. Mais Albert R. Broccoli rejette l’idée et ne tient pas à s’embourber dans une préquelle. Ce que veut le public, selon lui, c’est une nouvelle aventure de James Bond, tout simplement. De nombreux acteurs sont dans les rangs pour incarner la nouvelle version du personnage : Mel Gibson (recalé pour ses origines australiennes), Sam Neill, Sean Bean (déjà)… Mais les Broccoli jettent leur dévolu sur Pierce Brosnan. Jeune, beau, drôle et charmeur, l’acteur de la série Remington Steele s’impose comme un compromis idéal pour prendre le relais de Moore et rajeunir l’image de Bond. Son officialisation dans le rôle provoque alors un regain d’intérêt pour la série Remington Steele, pourtant arrêtée au terme de sa quatrième saison. Les audiences explosent et les producteurs de la série tentent de profiter de ce succès pour rappeler Brosnan à ses obligations contractuelles pour une cinquième saison tout en négociant avec Albert Broccoli pour se « partager » l’acteur. Mais Broccoli est intraitable : le nouveau Bond ne peut être simultanément le héros d’une série télé. La mort dans l’âme, Brosnan officialise son refus du rôle de James Bond (ce n’est que partie remise, Pierce…) et Dana Broccoli, l’épouse d’Albert, suggère alors Timothy Dalton. Ce dernier s’était déjà vu approcher par le producteur pour potentiellement incarner Bond dès le début des années 80. Mais en grand amoureux des planches, Dalton avait refusé. Le producteur hésite mais finit par lui proposer à nouveau le rôle, en promettant à l’acteur de lui laisser les coudées franches pour incarner l’espion comme il l’entend. Dalton accepte, se replonge dans les ouvrages de Ian Fleming, décrète que les trois premiers films de la franchise restent les meilleurs, et impose sa vision du personnage. James Bond redevient un assassin de chair et de sang, à l’esprit justicier, sans grand humour et fumeur invétéré. Et la mythique Aston Martin se doit d’être de retour (cette fois, une Aston Martin V8). La production de Tuer n’est pas jouer, 15ème film de la franchise peut commencer.


Se pose alors la question de l’intrigue, de l’enjeu et des antagonistes de ce nouvel opus. Adversaire historique du célèbre espion, le bloc soviétique a perdu de sa superbe, notamment en s’enlisant dans le conflit en Afghanistan. L’URSS est proche de la fin. L’intrigue élaborée par Richard Maibaum et Michael G. Wilson joue donc de cette déchéance pour placer au centre de son enjeu le passage à l’ouest d’un général russe. Mais les apparences sont trompeuses, le transfuge Georgi Koskov (incarné par la star hollandaise Jeroen Krabbé), se révèle être un félon manipulant les deux blocs, et il ne faudra pas moins de deux autres bad guys, le trafiquant Brad Whitaker (Joe Don Baker, qui trouvera deux films plus tard un autre rôle dans la franchise) et le directeur du KGB Leonid Pushkin (John Rhys-Davies), pour affronter le Bond de Dalton. Il s’agira surtout pour ce dernier de mettre hors d’état de nuire un assassin du KGB particulièrement redoutable, Necros, annonçant à lui-seul le Stamper de Demain ne meurt jamais. Interprété par l’armoire à glace Andreas Wisniewski (que l’on retrouvera l’année suivante parmi les terroristes de Die Hard, puis plus tard dans le Mission Impossible de Brian De Palma), ce tueur impitoyable incarne le défi physique de ce nouveau James Bond, leur affrontement culminant dans un avion cargo survolant les monts afghans.


Qui dit nouveau Bond, dit évidemment nouvelle James Bond girl. Et là aussi, le film propose un changement en évacuant l’intrigue des habituelles (à quelques exceptions près) potiches pour se concentrer sur la seule personne de Kara (Maryam D’Abo). Une jeune musicienne russe, tueuse à ses heures, prise entre les deux camps, et dont Bond semblera tomber amoureux. On se souviendra de cette poursuite où Bond et la jeune femme se servent d’un étui de contrebasse comme d’une luge, seul élément comique dans une intrigue expurgée d’humour. Les œillades et les bons mots de Moore à destination du public sont loin derrière et si le film récolte un beau succès en salles, le public est divisé. Certains fans se réjouissent de la direction plus sérieuse prise par la franchise, les autres regrettent l’absence d’humour et de gadgets amusants. Les producteurs, eux, sont ravis d’avoir trouvé en Timothy Dalton, un Bond renouant avec l’esprit des écrits de Ian Fleming.


Mais le monde est en plein changement, certaines forces sont sur le point de s’effondrer et les menaces ne sont plus les mêmes. Qui plus est, James Bond doit désormais faire face à une concurrence féroce incarnée à l’écran par les stars du muscle que sont Stallone et Schwarzenegger, ainsi que les charismatiques Mel Gibson, Harrison Ford et Bruce Willis. Le 16ème film de la franchise devra s’adapter à ce nouveau paysage.

Buddy_Noone
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le 7 sept. 2023

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