Tu bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale,
Tu masques ton visage en lisant ton journal


Matthew et Maria, par nature ou par la force des choses, se sentent parfaitement étrangers à la société qui les entoure, et vont s’accrocher l’un à l’autre dès leur première rencontre, pour tenter de sauver ce qui peut l’être de leurs existences bousculées. Le côté presque traditionnel de la trame est explicite: ce sera le ton du film, la voix de son auteur, qui feront que le film est réussi, attachant, ou non.


Situé à l’exacte césure entre la décennie maudite et celle convalescente et désenchantée des années 90, Trust (le «me» est un ajout hexagonal) est le parfait reflet se son époque, trouble et incertaine. Des années Reagan, Hal Hartley garde une certaine esthétique colorée, qu’il atténue pourtant pour donner à son propos une tonalité un peu blafarde et perdue, annonciatrice de la colère et du dégoût de l’époque qui s’ouvre.


Pas étonnant dans ces conditions de trouver dans les thèmes du film un certain nombre de messages sociétaux facilement déchiffrables. A travers ses deux héros, la voie a suivre est claire. Comme Matthew, refuser l’abrutissent des médias et les décisions d’entreprises cyniques destinées qu’à ne faire un peu plus de profit. Comme Maria, tuer le père, rejeter le canevas traditionnel de la future femme au foyer (pas d’enfant, pas de mariage) et s’en sortir par l’éducation.


Matthew Slaughter, tu perds ton sang-froid.
Repense à toutes ces années de service


Très écrit, le film l’est. Presque trop, parfois.
La scène d’ouverture est très révélatrice de ce point de vue. Ce qui pourrait ressembler à du théâtre filmé repose donc énormément sur l’interprétation de ses acteurs principaux. Malgré leur talent (j’y reviendrai un peu plus loin), tout ne fonctionne pas de la même façon, et le gracieux, le drôle, ou le surprenant le disputent au maladroit, à l’inutile ou au longuet. Ainsi, la tentative de viol pour un 6-pack semble bien inapproprié, tombant un peu comme un bigoudi dans la bignouze tiède. Que dire de l’interminable queue de propriétaires de télés cassées sur le trottoir, ou des banlieusards dépeints comme tous barbus et fumeurs de pipe ?


Ces petits moments pas totalement réussis contrastent fortement, du coup, avec ceux qui, au contraire, marquent la mémoire: l’ingéniosité d’une mère amatrice de gin maison, des rapports très biens écrits entre deux soeurs, ou cette scène pendant laquelle Maria réalise ce que voit d’une fille un jeune mâle de son âge.


Maria Coughlin, bientôt les années de sévices,
Enfin, le temps perdu qu'on ne rattrape plus


L’élan du coeur, il vient clairement du côté de Martin Donovan (mais si, vous l’avez forcément vu dans une série !) et Adrienne Shelly (tragiquement décédée il y un peu moins de 10 ans).
Le couple fonctionne, au delà d’une différence d’âge évidente à l’écran (33 ans pour lui, 24 pour elle, alors qu’ils sont sensés en avoir un peu plus de 20 et 17) car l’absence de repères, l’aspect paumé, sont tangibles chez l’un comme chez l’autre. Leurs réactions, leurs décisions ne cessent de nous surprendre malgré une personnalité que nous pensions claire et transparente en début d’histoire. Une des preuves de la qualité d’écriture se situe donc là: Matthew et Maria évoluent, murissent, changent de point de vue en fonction des épreuves qu’ils subissent, au point que jusqu’au bout, le spectateur ne saura jamais avec certitude jusqu’où les névroses et les blessures des deux entités du couple les porteront.


Au moment du bilan, lorsque, pas entièrement transporté, on se demande ce qui s’impose entre qualités manifestes et défauts patents, le film ressemble à la grenade que porte avec lui Matthew tout le long de l’histoire: une arme que l’on croit d’abord désamorcée avant qu’elle n’éclate en nous avec un relatif retard, projetant ses éclats dans notre réflexion avec dispersion mais précision.


Car par la distance qu’il propose, et grâce au décalage qui est celui de ses personnages par rapport au monde qui les entoure, le film est attachant.
Si le message n’est pas totalement original, il a le mérite d’être chaleureusement incarné, et assez brillamment illustré: les gens ne te touchent pas, il faut faire le premier pas.

guyness

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