Deuxième adaptation du roman de Charles Portis (après celle de 1969, sous le titre français 100 Dollars Pour Un Sheriff), True Grit, adapté par les frères Coen, balance entre l’ouest mythique et l’ouest réel. Un ouest sauvage, où les frontières du bien et du mal se brouillent, où la notion de justice collective reste à construire, puisqu’elle se confronte souvent à la justice individuelle. Autant qu’ à un genre cinématographique, les frères Coen rendent hommage aux U.S. Marshals, ces policiers fédéraux, aux missions différentes de celles du F.B.I. et travaillant au service exclusif des cours fédérales de justice. C’est finalement cette institution, qui est ici le centre d’intérêt d’un des meilleurs films des frangins, d’un de leurs rares films de genre et d’un des meilleurs westerns contemporains.


True Grit est une fiction aux frontières du réel, puisque si le seul vrai personnage de ce film est le juge Isaac Parker, de nombreux autres sont inspirés de réelles légendes de l’ouest. À commencer par le marshal Cogburn, tiré tout à la fois du marshal borgne Cal Whitson, du marshal Bass Reeves réputé meilleur tireur de son époque et du marshal Heck Thomas réputé pour son instinct de tueur. Le personnage de Mattie Ross, semble lui, s’inspirer à la fois de Calamity Jane et d’Annie Oakley, réputée excellente tireuse et qui passa du temps avec le Wild West Show (qu’on voit à la fin du film). Quant à la bande de Ned Pepper, elle s’inspire des fameuses bandes de frères (ce qui garantissait quelques liens de confiance au sein d’un gang) telles que celles des frères James ou Dalton (dont trois des quatre avaient d’ailleurs été marshal).


La volonté des frères Coen dans True Grit est de rendre l’ouest le plus authentique possible face caméra, d’où toutes ces références à son histoire. Même s’il est par moments édulcoré, leur film montre toute la dureté d’un temps où le féminisme n’était dans l’esprit de personne, où la frontière entre les hommes de loi et les hors-la-loi était parfois très mince. Tout est fait pour que ce film soit crédible et la maturité de la mise en scène, fait que cela fonctionne à merveille. Ils nous livrent un western classique dans sa construction, mais moderne dans la façon dont il met en scène un personnage vieillissant, perdu dans un monde qui semble ne plus vouloir de lui et voudrait faire passer la justice légale avant la justice du colt.


Les frères Coen sont réputés, entre autres, pour leurs formidables qualités de direction d’acteurs et, si Jeff Bridges a troqué le Russe Blanc pour le six coups, il semble tout aussi à l’aise en manteau poussiéreux qu’en caleçon et tongs, les quelques années supplémentaires ne faisant qu’ajouter à son charisme. Matt Damon, qui ne vendait pas encore de café, disparaît un peu trop sous sa moustache, certes d’époque, mais qui tire vers le balai brosse. Il lui manque par ailleurs cette rudesse, indispensable à tout acteur de western, il semble à l’aise mais manque de crédibilité. Le meilleur pour la fin avec Hailee Steinfeld, 14 ans au moment des faits (comme son personnage, assez rare pour être souligné) n’avait pas beaucoup de choix. Elle devait incarner une jeune fille trop mature pour son âge ce qui, pour une actrice, est autant un défi qui se vit qu’un défi qui se joue.


Avec True Grit, Joel et Ethan Coen ont démontré non seulement, qu’ils maitrisent leur cinéma, mais aussi qu’ils maîtrisent « les » cinémas, jusqu’à cette mémorable et effrénée course finale contre la mort. Il y avait eu le film noir des années 50 avec Le Grand Saut, il y a maintenant le western avec True Grit. Bien sûr, ils s’éloignent des losers qui ont fait leurs belles années, mais ils s’ouvrent alors un public plus vaste. Ils ne sont pas les cinéastes d’un genre, ils sont comme beaucoup de grands autres réalisateurs (en tête desquels Stanley Kubrick), capables de s’attaquer à différentes de sortes de films avec le même talent, avec la même envie d’allier la qualité du cinéma d’auteur à la quantité du cinéma de divertissement. Bref, en quelques années, les frères Coen sont passés de touche-à-tout du cinéma à touche-au-cœur du cinéphile.

Jambalaya
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le 21 mai 2015

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Jambalaya

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