J’ai sérieusement conscience d’aller à contre-courant de la perception que semble avoir le monde entier de ce film plébiscité (à part une partie de la presse française spécialisée) mais bon, j'assume.


Thunder Road est étiqueté "nouvelle comédie dramatique propulsée par le festival de Sundance", comme en leurs temps I don’t feel at home in this world anymore, Brigsby Bear ou encore Little Miss Sunshine. D’ailleurs il partage avec ce dernier le fait d’avoir remporté le grand prix du festival de Deauville. Toutefois, qu’on ne s’y trompe pas, Thunder Road c’est du drame pur et dur, du genre à avoir construit une station de forage au milieu d’un océan de larmes pour y puiser de la dépression non raffinée, le tout agrémenté de deux trois vannes bien senties et d’un petit comique de situation, histoire de ne broyer du noir que 99 % du temps.


Jim Cummings signe ici son premier film en tant que scénariste, réalisateur, producteur, acteur principal et même compositeur de la musique comme un vrai self made man américain. La scène d’ouverture de Thunder Road reprend à l’identique le court-métrage qui avait valu à son réalisateur le grand prix de Sundance : un plan quasiment fixe de 12 minutes où un policier Texan trop accablé de chagrin que pour avoir les idées claires va faire l’oraison funèbre de sa mère à son enterrement, oscillant avec un certain brio entre véracité des sentiments, burlesque et écriture en plein numéro de haute voltige réussi. C’est pas pour rien qu’il a été récompensé (disponible en ligne d'ailleurs). Malheureusement, en allongeant ce concentré de bonnes idées, en cherchant à continuer l’histoire de son loser poissard qui ferait passer le  Llewyn Davis des Coen pour un gagnant du loto, Jim Cummings charge la mule, lui pète le dos, l’abat de deux balles dans les gencives et en rajoute encore une couche sur son cadavre fumant tandis qu’un chœur d’orphelins entonne en fond « Il s'appelait Stewball, c'était un cheval blanc… ».


On aboutit à 1h30 où son double aux yeux rougis, Jimmy Arnaud, va partager ses tourments dans des longues tirades jusqu’à ce que sa voix s’éraille. On va du triste au crève-cœur quand on apprend à le connaître. Non seulement il y a le thème du deuil, mais aussi les traumas jamais trop expliqués de son job de flic, son divorce pendant, sa jeune fille avec laquelle il n’arrive pas à communiquer et dont il n’est pas sûr d’avoir la garde, ses problèmes avec son boulot, ses humiliations au quotidien, ses ennuis d’argent, les quiproquos en sa défaveur, les arnaques, ses relations amères avec son frère et sa sœur…. Juste trop de choses, sorties de nulle part pour la plupart, jamais développées, tout le temps, sans arrêt ! Et toujours sur le même modèle initial de scénettes un peu longuettes en plans séquences où le personnage se débat dans un monde profondément injuste envers lui jusqu’à un deus ex machina aussi facile que mal amené pour entamer le dernier acte. Le tout est enrobé dans une réalisation plate, aux transitions abruptes d’une scène à l’autre, dans une épure quasi-totale. Décors minimalistes, à peine deux personnages secondaires vraiment fouillés, un enchaînement parfois invraisemblable de situations, un peu de comique pathétique qui ne fait que paradoxalement renforcer les angoisses existentielles du héros, Thunder Road n’est jamais très loin d’une bête hagiographie de son personnage central aux allures de saint martyr. Même son meilleur pote semble n’exister que pour plaindre Jimmy.


Malgré quelques idées et des thèmes explorés jusqu’à l’insoutenable, l’écriture n'est pas au niveau. On aboutit à une sorte de succession de sketches où Jim finit invariablement par hurler sa peine à qui veut bien l’écouter, s'il ne parle pas tout simplement tout seul, une nouvelle occasion d’avoir 5 minutes de gros plans sur sa tête crispée. Jim Cummings ne démordra pas d’un jeu intense du registre de la dépression à vif. A côté la réalisation ne brille pas, surtout dès que l'on quitte les séquences fixes, certaines scènes sont même brouillonnes avec des personnages qui semblent apparaître et disparaître au grès des plans.


L’exploit tout de même est que Thunder Roads fonctionne par moments, les angoisses de son personnage déteignent sur son spectateur. Malheureusement il ne s’envole jamais, pire, il tape sur le système à l’occasion. Jim Cummings a pour lui de ne jamais lâcher son rôle de petite vendeuse d’allumettes qui a sérieusement besoin d’antidépresseur. Mieux canalisé, avec un plus grand sens du dosage surtout et éventuellement avec un scénariste, le personnage mériterait d’être suivi, mais en l’état Thunder Road laisse une impression plus que mitigée.

Cinématogrill
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le 13 sept. 2018

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