...et délivrez-nous du Mal.



La scène d’introduction de The Wicker Man, et ses fidèles implorant par la prière dans une église le Seigneur de les délivrer de leur maux, fait miroir avec sa scène final de liesse païenne malmenant joyeusement un pèlerin démuni, images enflammées sur lesquelles se base une partie de l’aura du film ; dans les deux cas, affirmer ses croyance se fait en damnent les impies.


L’église cérémonieuse des premiers plans constituera notre point de départ et celui de notre protagoniste, le sergent Neil Howie, « copper » tout ce qu’il y a de plus british qui s’envole en hydravion loin de ce lieu saint à travers l’archipel des Hébrides en quête de Rowan Morrison, jeune fille présumée disparue sur l’île de Summerisle. Là, la caméra s’assujettit avec notre regard à sa découverte de l’île, et de ses Landes aussi charmantes que ses badauds semblent taciturnes. Personne n’a entendu parler de l’adolescente, et encore moins ne voient d’un bon œil l’arrivée de l’homme du continent. Lui non plus ne semble pas non plus prompt à sympathiser avec ces sujets de la couronne qui semblent s’être oubliés, et pour cause : eux vivent dans l’adoration des Dieux Anciens, prisant leurs pouvoirs solaires pour s’assurer des récoltes favorables. Élucider l’affaire Morrison deviendra bientôt pour Howie une quête pour percer les coutumes locales, malgré son degré avancé de répulsion pour ces dernières.


Orgies nocturnes, sépultures impies, apprentissage aux enfants de ce qu’on préfère généralement leur cacher, fêtes de village païennes à la limite du fanatisme… Robin Hardy ne manque pas de s’abreuver dans le courant contre-culturel des années 1970 pour abattre un à un les tabous religieux puritains, en retournant à une terre « pré-civilisation » (plutôt pré-évangélisation). Le cinéma de l’époque est bien connu côté États-Unis, et The Wicker Man constitue un équivalent anglais plus confidentiel du Nouvel Hollywood, alliant découpage parfois classique et motifs « révoltants », avec un montage dérivant au gré de la musique de Paul Giovanni. La caméra champêtre navigue à travers Summerisle avec une sorte de banalité quotidienne, distillant une inquiétante étrangeté à mesure que l’on découvre dans la bourgade ici, un chant mystique où des enfants dansent autour d’une structure phallique, là une jeune écolière qui torture un scarabée dans son bureau (et nous fait penser à une autre sadique en herbe, s’attaquant à un lézard dans le Profondo Rosso de Dario Argento, sorti deux ans plus tard).
Si le voyage dans le temps prend outre-Atlantique la forme du road movie, retraversant le territoire souvent dans le sens contraire de l’avancée des pionniers pour voir ce qu’il reste de leur idéal libertaire (Easy Rider pour n’en citer que l’emblème, dont les motards traversent les USA de Los Angeles à la Nouvelle-Orléans), ici le voyage démarre en avion et vise un terre voisine mais hautement réfractaire, découverte derrière un atoll rocheux et des volutes de folk. Une bal(l)ade dans les Landes, où le wilderness américain à perte de vue devient un conte celtique enclavé tendance occulte, questionnant les aspirations passées du Royaume.


Les vieilles habitudes ont la peau dure, et notre inspecteur bien intentionné ne tarde pas à se transformer en convertisseur. Comme lui, nous découvrons les us de Summerisle avec une certaine hostilité, et c’est l’intelligence du film que de faire de ce héros d’abord relativement transparent le vecteur de notre regard, avant d’en dévoiler l’intégrisme. Si les habitants de l’île sont totalement acquis à leurs croyances, Howie ne tarde pas à reproduire des schémas d’évangélisation assez rances, notamment quand dans un cimetière, outré de ne pas trouver de sépultures dûment consacrées, il détruit une cagette de pommes placée par les habitants en prière pour des récoltes fructueuses pour construire une croix catholique avec ses morceaux de bois. Les rites locaux ont certes de quoi déstabiliser, mais ils garantissent une communauté soudée, et Howie apparaît alors comme un intégrisme s’opposant à un autre.


Durant sa deuxième nuit sur place au Green Man Inn, Howie se laisse charmer, comme le film lui-même dans un montage hypnotique, par un chant érotisant de la fille de l’aubergiste. Le prude et vierge homme de foi se retient in extremis de céder à la tentation. Peur et frustration seront les moteurs de son extrémisme durant la dernière partie du film, où il tente de stopper la cérémonie rituelle des autochtones, jusque dans un homme en osier géant dévoré par les flammes. Flammes que lui souhaite à ces heureux païens, vociférant qu’il les damne devant le Seigneur. La scène d’introduction dans l’église était solennelle et sépulcrale, celle-ci est chaotique et festive. Une guerre de chapelle qui disparaît avec l’effondrement de la structure en bois consumée, révélant l’image énigmatique et apaisante d’un soleil couchant incandescent. Un signe évocateur d’à laquelle des deux fois va la préférence de Hardy.

ClementColliaux
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le 24 août 2021

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