Un an après son sacre avec l'immense Birdman, Alejandro González Iñárritu revient avec une nouvelle claque cinématographique qui pourtant divise, le cinéaste ayant tout autant de détracteurs que d'admirateurs. Néanmoins, même si il n'a pas fait la razzia des Oscars à la dernière cérémonie, il est reparti avec quelques statuettes d'importances qui l'ont vu lui, Leonardo DiCaprio et Emmanuel Lubezki récompensés pour leurs prodigieux travail sur le film. Iñárritu est clairement devenu quelqu'un qui compte dans le paysage cinématographique car en deux films, il semble l'avoir durablement marqué par son style, que l'on juge parfois plagié sur d'autres, ou par son travail perfectionniste sur l'aspect technique, que beaucoup juge prétentieux. Alors qu'il est clair que l'on est face à une oeuvre qui n'appartient qu'au cinéaste, et qui a un recul bien plus réfléchi sur elle-même pour livrer un message plus humble et humaniste qui se révèle anti-nombriliste.


Avec The Revenant, Iñárritu va se réapproprier l'histoire de Hugh Glass,un trappeur ayant vraiment existé, pour en faire un récit nouveau. Ici même si il garde quelques événements qui se sont réellement produits, il en change les motivations de chacun et quasiment tout ce qui gravite autour pour faire en sorte que cette histoire dépasse sa condition de survival en faisant l'étude mystique d'un pays naissant, du conflit des hommes, de la barbarie et de l'âme humaine. Mais on se retrouve aussi face à un film qui vient parler de fatalité et de paternité, présentant les deux situations comme indissociable car en tant qu'homme nous sommes forcément père ou fils, et parfois même les deux. Iñárritu va poursuivre ce qu'il a entrepris avec Biutiful et Birdman, pour finir son triptyque sur le chemin de croix paternel avec The Revenant, comme il avait pu faire son triptyque choral avec Amores Perros, 21 Grams et Babel. Il reprend donc la forme et le fond d'un récit très biblique, multiplient les parallèles avec ses précédents films pour accentuer les métaphores, on retrouve même au sein de l'oeuvre la chute d'une météorite issue de Birdman.
L'ensemble va miser sur un aspect narratif épuré, pour laisser toute la place à la symbolique et au mysticisme ambiant de l'histoire. Pour nous parler de la chute inexorable de l'homme, la construction d'un pays qui s'est effectué dans l'exploitation, le massacre et le viol de sa population par des hommes violents, orgueilleux et cupides mais aussi pour nous parler des besoins de l'âme, de renaissance et de croyance. Finalement Iñárritu va construire un récit à l'image des Etats-Unis, excessif, borné et religieux, mais il le fait avant tout pour porter une critique sur ce qui fait l'hypocrisie du pays. De plus il se révèle beaucoup plus subtil dans son approche, notamment lorsqu'il compose ses phases de rêves qui traduisent la place du personnage dans le conflit entre le blanc et l'Indien mais qui traduisent aussi les actions mis en oeuvre pour exterminer les Indiens et qui permet de montrer à travers la métaphore, la monstrueuse réalité d'une époque. A côté de ça, il faut reconnaître que la narration souffre parfois de quelques longueurs, mais ce sont des longueurs qui sont voulues et parviennent bien à nous faire parcourir les mêmes états émotionnels que les personnages, entre épuisements et frustrations dû à la répétitivité et l'aspect laborieux de l'avancé du "héros". L'intrigue est aussi découpée en plusieurs point de vue aussi, ce qui peut paraître contre-productif pour un survival mais qui au contraire sert plutôt bien le propos et le message du film ici.
Le casting se montre assez prestigieux, tous offrant des performances assez exceptionnelles, à commencer par Leonardo Dicaprio qui n'a clairement pas volé son Oscars pour le rôle. Plus mutique que jamais, il dégage une force et une animosité intériorisé qu'on a pas l'habitude de voir chez l'acteur et compose un personnage très différent que ceux dont on à l'habitude de voir. Il est intense et prodigieux de bout en bout. Tom Hardy offre aussi une interprétation assez fascinante, comme DiCaprio il est totalement habité par son personnage et sa folie émane de tout part, Hardy arrivant à la retranscrire à la perfection par son regard. Il est ici absolument fulgurant dans son rôle, que ce soit dans ses yeux hyper-expressifs, son accent ou sa manière de se mouvoir, il transpire le charisme et l'animosité. On retiendra aussi Will Poulter qui est excellent dans le rôle le plus émotif du film tandis que Domhnall Gleeson est tout simplement grandiose dans un rôle noble qui met à contribution tout son talent d'acteur.
Pour ce qui est de la réalisation, la technique est absolument parfaite. Conduite par une photographie somptueuse de Emmanuel Lubezki qui mérite son Oscars. Entièrement travaillé en lumières naturelles pour magnifier chaque décors, chaque plans et chaque expressions, l'ensemble se révèle être un travail de génie, mené de manière formidable pour offrir une des meilleures photos vues dans un film. Le tout est accompagné d'une musique inspirée totalement dans le ton mystique de l'oeuvre et le montage est particulièrement couillu dans sa manière de tirer chaque scène jusqu'à l'extrême, se montrant bien pensé sur ses plans séquences. Plans séquences prodigieux qui souligne une mise en scène faramineuse de Alejandro González Iñárritu, qui se montre ambitieuse, brutal et totalement admirable enchaînant les séquences d'anthologies. Elle est aussi pleine de sens dans sa manière d'être pensée, évitant de tomber dans la performance pour enchaîner les plans vide de sens. Iñárritu fait en sorte que la nature soit un personnage à part entière, un spectateur du périple de l'homme, qui parfois s'indigne ou le soutient comme le traduisent les nombreux plans sur la cime des arbres. A travers sa mise en scène il tente de symboliser la fuite de l'âme notamment à travers divers transitions qui accentue les différentes "morts" et "résurrections" des personnages tandis qu'il pense ses plans comme des chutes perpétuelles. Le voyage des personnages, est un voyage descendant et Iñárritu utilise souvent des plongées pour symboliser ça, même lorsqu'il fait un mouvement de caméra ascendant, il le fait en marche arrière pour que l'on ai toujours cette sensation de chute. Les montées, du personnage comme de la caméra, sont rares dans le film et ne sont là qu'à deux moments clés du récit. Ce qui fait de cette mise en scène, un travail consciencieux qui est admirablement pensé pour accompagner le récit et son personnage, non pas pour l'enjoliver. Chaque plan séquence étant avant tout là pour nous faire ressentir la douleur du périple.


En conclusion The Revenant est un chef d'oeuvre. Un de ses films rares qui met un claque durable aux spectateurs, qui est bien trop radical pour contenter tout le monde et qui s'attire des détracteurs mais qui mérite néanmoins d'être vu même si c'est pour le détester. Viscéral, incroyable et dense, l'oeuvre est admirablement pensée pour être à la fois une étude fascinante d'un pays et des hommes qui le peuple, un voyage rédempteur, un chemin de croix sur la paternité et la continuation parfaite de l'oeuvre d'un cinéaste consciencieux et intelligent qui cherche avant tout la cohérence avec son style. Il a sa manière de faire les films et n'en change pas, ayant appris à digérer ses influences il les distille ici avec respect, loin du plagiat que l'on a dénoncé, car on est clairement devant un film d'Alejandro González Iñárritu et c'est pour ça qu'il déstabilise autant. Car le film sera au final beaucoup de choses pour beaucoup de monde, et c'est pour ça qu'il est assurément grand.

Frédéric_Perrinot
10

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le 3 mars 2016

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