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Scott Cooper et Christian Bale, voilà un duo qui ne peut qu’augurer de bonnes choses après le très bon Hostiles, sorti en 2018. Alors, quand on imagine une enquête dans l’hiver froid d’une Amérique naissante, avec le nom d’Edgar Allan Poe au générique, on se prend à placer de grands espoirs en The Pale Blue Eye.


Le froid et la neige accompagnent d’emblée ce film qui nous présente rapidement le personnage d’Augustus Landor, missionné par l’académie militaire de West Point pour résoudre une affaire macabre. Dans le froid, au milieu de la nature, le visage marqué par les années et les traits prononcés, l’ancien commissaire a la parfaite allure de l’âme errante et solitaire que l’on verrait bien dans un roman de Poe. Avec ces décors, cette froideur ambiante, cette histoire de cadavres mutilés, tout est fait pour nous immerger dans une atmosphère de roman gothique. Il n’en faut d’ailleurs pas beaucoup plus au spectateur pour être séduit par le dispositif et se prendre au jeu, allant à l’assaut de cette enquête qui s’annonce pleine de mystères.


C’est ainsi que The Pale Blue Eye nous offre une mise en bouche des plus réussies, le film faisant preuve d’une élégance et d’une rigueur formelle au rendez-vous. Et cette beauté est affaire d’extérieurs, mais aussi d’intérieurs, propices à de nombreux jeux de lumière qui viennent peaufiner ce travail sur l’image déjà bien prononcé. Mais qu’en est-il de la narration ? Car une histoire d’enquête répond toujours à certaines obligations et contraintes qui peuvent pousser à adopter certains tics de langage bien connus. Et ce film ne fait pas forcément exception, même s’il cherche quelques ruses pour s’en défaire, notamment avec l’association Landor/Poe qui crée un duo des plus intéressants. The Pale Blue Eye repose principalement sur son duo d’acteurs principaux et sur sa beauté formelle pour donner au film un cachet qui compense ses fébrilités en termes de narration, et sa difficulté à tenir sur la durée.


En effet, il est difficile, quand l’enquête répète les mêmes motifs, que la culture du mystère doit régner, de ne pas tomber dans le piège de l’étirement, ce que The Pale Blue Eye n’évite pas. Alors que l’intrigue tâtonne et que le charme des débuts s’évapore, le film va chercher dans le changement de ton et les révélations surprenantes les clés pour contrecarrer ce vilain sort. Ce qui ne marchera qu’à moitié, cela ne faisant que perdre au film une certaine harmonie qu’il était parvenu à maintenir jusqu’ici. Des sursauts qui ressembleraient presque à des aveux d’impuissance face à une production qui a dû être conditionnée par la propension que Netflix peut avoir à museler les cinéastes et à les pousser à suivre un cahier des charges bien défini. Chose bien regrettable quand on imagine le réel potentiel du film.


Toutefois, il ne s’agirait pas de dire que The Pale Blue Eye est un film manqué, loin de là. C’est un film qui réussit notamment à réunir un casting assez fourni, avec Christian Bale donc, mais aussi des seconds rôles marquants avec le vétéran Robert Duvall, dont chaque apparition fait toujours plaisir, Gillian Anderson, Toby Jones et Timothy Spall, le rôle de Charlotte Gainsbourg s’avérant bien plus anecdotique. Mais c’est surtout la prestation d’Harry Melling qui marque, incarnant un Edgar Allan Poe perspicace et intelligent, et surtout sensible et fragile, au bord de la rupture, qui semble bien correspondre à l’image que l’on se ferait de lui. The Pale Blue Eye reste un film plaisant, qui ravira les amateurs d’enquêtes à rebondissement, et encore plus ceux qui aiment les inspirations gothiques avec cette ambiance hivernale et cette propension au fantastique. Malheur, cependant, à celles et ceux qui auraient une attente trop importante, et l’espoir de voir quelque chose de singulier.

Alors qu’il reste une vingtaine de minutes de film, semblant s’orienter vers la fin, une révélation finale surgit, déduite par Poe : Landor est le vrai meurtrier, vengeant sa fille qui s’est suicidée après avoir été violée. Le film invoque donc un ultime rebondissement pour donner un dernier souffle à un film qui traînait déjà sur la durée et offrait une conclusion particulière. Mais ce final tombe un peu comme un cheveu dans la soupe. En tombant comme un bloc, il devient tire-larmes et perd de sa force. En revanche, en sous-entendant plus ou moins explicitement, tout au long du film, que Landor était derrière ces crimes pour ces raisons, le film aurait gagné davantage en force et en substance, avec un personnage principal ambivalent, ambigu et confronté à de vrais dilemmes moraux. Un dernier choix qui confirme que le le film pâtit de sa linéarité.

Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 6 janv. 2023

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