Toute la magie d'un folklore, malheureusement bavard

Ce type de démarche, fantasmer une poésie dégénérée, un théâtre de la cruauté, un folklore puisé dans le vrai, le local, une peinture romantique, symboliste, expressionniste, un cinéma bergamnien ou autre... enfin toute une magie forcément perdue avec le temps, et en faire ressortir le plus grave, le plus grandiloquent, burlesque, fantastique, brumeux, violent... faire renaître tout ça avec de nouveaux moyens, un regard personnel et un amour pour toutes ces références...
Je dis oui, très oui, d'autant plus que The Witch m'a grandement convaincu et qu'un huis clos de marins avec sirènes, mouettes, rochers, vents, excréments... j'ai ça en tête depuis longtemps et je cherche encore la littérature, la musique, tous les arts, qui peignent cet univers à la main.


Formellement le film est magique. Dafoe qui s'inspire de la mouette pour jouer tout son personnage. La nature grise en mouvement. Des clichés parfois intimes (les deux hommes posant comme pour une photo d'époque), parfois sublimes (les vagues, tout simplement), parfois fantastiques. Tout ça est à la hauteur de toute la peinture mystérieuse et violente du XIXe siècle, de Odilon Redon à Johann Füssli, en passant par Arnold Bocklin et d'autres qui m'échappent.
C'est du cinéma, c'est même donc plus fort encore.


Là où ça pêche selon moi, et je l'ai ressenti dès les dix premières minutes, quand les personnages se manifestent, c'est le gouffre entre la force des images de cet univers et l'écriture.
Dafoe fait ce qu'il sait faire et je vois pas comment il pourrait autrement, ou mieux, dans ce film. Il est parfait.
Pattinson, qui me convainc chez Cronenberg ou Gray, surtout parce que son silence est très évocateur, est là incapable de donner de la vie à son personnage. J'ai tout de suite senti qu'il ne savait pas comment le jouer, et que donc toutes les scènes intenses dans lesquelles il se révèle (et même les premières scènes) étaient des essais formels, qui ne correspondaient à rien, finalement. Et c'est dommage, parce que physiquement, il colle à ce type de personnage, et je sentais qu'il essayait toujours de proposer quelque chose de sensible, de nuancé, de surprenant, mais que ça partait de rien...


J'ai pas non plus été emporté par le texte, globalement, ni la structure narrative, ni l'intensité de la relation entre les deux hommes, quand ils chantent par exemple (alors que ce genre de scènes, dans un film à ambiance, dans un univers lointain qui ne demande qu'a resurgir, c'est un élément qui doit nous emporter).


Je pense que ce film serait une oeuvre très forte et et plus percutante si elle était muette (les personnages, pas les effets sonores). Avec des cartons, comme les films qui ont pu inspiré le réal. Ou alors il aurait fallu que Bergman, aidé de Artaud, s'occupent du texte et de la direction d'acteurs, pour donner à cette musicalité impressionnante en surface, une profondeur, de l'espace, une résonance...

Nicolas_Robert_Collo
6

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Créée

le 20 déc. 2019

Critique lue 239 fois

Gregor  Samsa

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