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Un film à vous en faire perdre la tête

The Green Knight est une expérience totale. Œuvre mythique, macabre et poétique, David Lowery reste fidèle aux thématiques qui animent (et hantent!) son cinéma : la mort, le destin, le temps qui passe. Déjà au cœur du fantomatique et crépusculaire “A Ghost Story”, cette fois, le réalisateur pare son récit de symboliques et pousse l’esthétisme et l’expérience du spectateur jusqu’à leur paroxysme. L’adaptation du roman chevaleresque “Sire Gauvain et le chevalier vert” semblait être une évidence, comme si l’univers du réalisateur était bâti pour adapter ce roman chevaleresque du XIVe siècle. Lowery ne se contente pas d’adapter un roman, il le rend vivant et le sublime. The Green Knight est un film à sensations, c'est une œuvre qui vous convoque tout entier grâce à sa force esthétique, ses tessitures visuelles et sonores. Chaque élément qui compose le film est là pour rendre le récit palpable.


Le film est entièrement construit pour être senti avant d’être vu, élément paradoxal tant l’esthétique du film est prenante et présente. Il était à craindre que The Green Knight vire à l’exploit esthétique délaissant le fond au profit de la forme. Évidemment l’esthétique joue son plein rôle, mais la clé du film n’est pas dans les plans et leurs compositions, elle est dans l’atmosphère que dégage les différentes étapes du voyage de Gauvain. Le long travelling “cinematic”, à dos de cheval, qui l’accompagne au début de sa quête est l’un des meilleurs exemples de la façon dont David Lowery capte et intègre son spectateur dans ce long voyage. Que Gauvain soit à cheval, à terre ou dans une barque, la caméra et le spectateur l’accompagnent comme un destrier accompagnerait son chevalier. Toujours à sa hauteur, le spectateur devient témoin de toutes les étapes de l’histoire, on est intégrés dans cette quête d’honneur qui n’a d’autres issues que l’affrontement


et très probablement la mort.


L’issue, incertaine, mais inéluctable, de Gauvain, nous tient en haleine et nous fait traverser les 2 heures de film avec un enthousiasme incroyable. Certains diront que c’est trop long, trop contemplatif, ce qui n’est pas totalement faux, mais qui a dit qu’une quête chevaleresque se menait tambour battant ? Cette contemplation est le coup de maître du film, c’est un pied de nez à l’entertainment et au cinéma hollywoodien, qui tend vers des films toujours plus denses, rapides et rythmés. Ce cinéma qui à peur de l’ennui, de la petite seconde d’égarement du spectateur. Ici l’ennui est permis et il est loin d’être un élément négatif. David Lowery est un réalisateur qui prend le temps et qui laisse le temps au spectateur de s'accaparer le film et tout ce qui le compose.


La tête sur les épaules


The Green Knight est l’exemple parfait de ce cinéma qui n’a pas besoin d’être dense et rapide pour être intéressant. L’image du preux chevalier, valeureux, chanceux et courageux en prend aussi un coup. Gauvain, brave garçon un peu paumé dans le royaume de son oncle le roi Arthur, se trouve bien embêté lorsqu’il s’agit d’honorer le contrat passé avec le chevalier vert.


A l’appel de tout un royaume, il se retrouve à endosser l’aura et le courage d’un chevalier,


(alors qu’il n’en pas un)


et une fois en chemin pour honorer son devoir et sa dette, on découvre que la bravoure, le courage et la fierté se conjuguent avec la malchance et la peur. Gauvain est loin d’être le garçon aussi courageux et fière qu’il voulait bien laisser paraître. Seuls nous, spectateurs discrets, savons à quel point il est sensible, influençable et craintif.


A mesure que les étapes et les rencontres se succèdent, son personnage est mis à nu. Chaque épreuve qu’il traverse questionne sa quête et sa place dans celle-ci. Nous sommes les seuls à être dans la confidence de ses pensées, de ses visions et de ses rencontres, qu’elles soient réelles ou imaginaires… Ainsi le chemin de Gauvain oscille toujours entre l’imaginaire et le réel, tout s'entremêlent, au point de ne plus situer la frontière entre les deux mondes.


"Le but c’est le chemin"


Malgré les épreuves, Gauvain reste fidèle à son but, même si la symbolique de sa réussite s’amenuise à mesure que l’expérience des rencontres et des épreuves passées s’accumulent. La véritable force de sa quête n’est pas le point final, l’affrontement avec le chevalier vert est presque anecdotique, et l’importance qui lui est donnée dans le film n’est pas forcément à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre d’elle. Jusqu’à la dernière image du film, on reste en haleine sur son dénouement. Jusqu’au bout, David Lowery convoque nos sens, et nous invite à vivre pleinement cette histoire. La destinée du spectateur et de Gauvain devient collective. La fin est la notre.

pollly
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le 15 janv. 2022

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