The Grandmother
6.9
The Grandmother

Court-métrage de David Lynch (1970)

Après ses tests qui s’inscrivaient dans une logique de réunion de la peinture et du cinéma, Lynch réalise son premier "authentique" film de cinéma, doté d’une narration certes opaque mais plus simplement d’un assemblage de plans torturés. Court-métrage d’une demie-heure, The Grandmother mélange de nouveau les supports, mais les photographies et dessins perdent le monopole au profit de la mise en scène d’éléments et d’acteurs de chair et d’os. Toutefois, c’est peu dire que la captation du réel est ambiguë voir impénétrable avec cette évocation d’une naissance au mauvais endroit et de la compensation du vide affectif.


Dans The Grandmother, un enfant victime des instincts agressifs et désordonnés de ses parents se trouve dans un tel état de claustration psychique qu’il se façonne un ange gardien, une grand-mère imaginaire mutique mais compréhensive. Le rapport à cette créature lui permet de tromper l’horreur de sa condition, malgré les manifestations d’un climat incestueux et les effusions cannibales de sa mère.


The Grandmother apparaît facilement comme une espèce de thérapie pour Lynch. Si le nœud de l’intrigue est clair, les intentions sont mystérieuses et l’expression de traumas précis (la solitude d’un enfant) enraye l’universalité du propos (le besoin d’un allié face à un environnement hostile ou aliénant). Pour autant, l’œuvre véhicule des émotions primitives, ainsi que des questionnements (sur l’origine de la vie) que chacun peut ressentir ou identifier avec force. Ainsi ce métrage apparemment chaotique exprime de façon pénétrante l’angoisse, non plus désormais d’arriver au Monde, mais d’y être abandonné sans avoir sa place. Et de devoir faire face à la mort et à la nuit sans que personne ne vous accompagne et ne vous rattache à ce monde.


Tout droit issu d’un cauchemar, The Grandmother déstructure toutes les constructions sociales pour confondre son approche avec celle d’un enfant autarcique, lâché dans les limbes de son esprit et dans les abîmes du monde sensible sans gouverne. Les parents sont des animaux s’exprimant en râles, le monde extérieur n’existe pas, les fantasmes du garçon régissent les lois organiques. L’invocation de la grand-mère est l’équivalent d’un recours à une figure démiurgique et bienveillante ; ne sachant décrypter ni se dissocier de sa condition, le garçon a un réflexe animiste. Or le gardien source de vie, cette femme ronde est usée et elle-même submergée par la violence du cocon toxique et compromise par les agissements convulsifs de ceux qui auraient dû la relayer. Lynch choisit une issue pessimiste, l’évaporation de ce guide matriciel conduisant le garçon au désarroi absolu, à la coupure tant avec le passé qu’avec le futur.


Avec The Grandmother, Lynch réussit à substituer aux mots les images, à la raison l’instinct, au découpage consciencieux le dessein viscéral. Si le court-métrage abuse d’effets sonores exorbité ou funèbres et peut sembler trop axé sur l’expérimentation technique dans un premier temps, le concert d’hallucinations visuelles et d’impudeurs psychiques révèle une vision riche et subtile, mais infiniment dérangeante. Coupé de toute exigence sociale, cet univers cultive les représentations répréhensibles, cherchant à traduire la perception fantasmatique du trivial, c’est-à-dire de la procréation, du désir d’appartenance, des motifs réels du devoir et des affects naïfs (l’enfant cultivant une relation de fusion avec sa grand-mère, ou les corps n’ont pas peur de se mesurer). Un chef-d’oeuvre de surréalisme et d’introspection théâtrale et abrupte.


https://zogarok.wordpress.com/2013/12/21/lynch-premiere-epoque/

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le 24 déc. 2013

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