C'est bien la popularité du cinéma qui conféra à Hollywood son statut d'hôte privilégié dans notre quotidien. Difficile, en effet, de grandir, d'évoluer dans la vie, de forger sa personnalité, loin de tous ses films, de toutes ses images et histoires, qui inondent notre imaginaire depuis la plus tendre enfance. Bien plus qu'une simple machine à rêve ou à fric, Hollywood façonne, modèle, formate les consciences à coup de morale facilement assimilable et de clichés bien trempés. Et c'est surtout à l'égard des minorités que les idées reçues sont les plus pesantes : aujourd'hui encore, gays et lesbiennes ont bien du mal à s'extraire de ces archétypes dans lesquels on les a gentiment enfermés. Sortir du placard, c'est justement l'objet du livre de Vito Russo, The Celluloid closet, et son constat est sans appel : « En cent ans de cinéma, l'homosexualité n'est apparue que rarement à l'écran. Et toujours comme une chose risible, pitoyable ou parfois même effrayante ». S'appuyant sur ce travail, Robert Epstein et Jeffrey Friedman dévoilent un Hollywood qui, sous prétexte de respecter une certaine norme, se vautre inlassablement dans la bêtise et l'intolérance.

Le documentaire débute et se termine par une même image, celle provenant de ces temps anciens où le cinéma n'était encore que balbutiement, fraîcheur et innocence : 1895, The Gay Brothers, deux hommes dansent tranquillement. Une séquence simple, presque anodine, qui va pratiquement disparaître de nos écrans. Car, avec l'essor du show-business, Hollywood évite de déplaire au plus grand nombre et fait bien souvent du politiquement correct sa ligne de conduite : le couple mixte est la norme, alors, du western au film noir en passant par la comédie, l'amour est l'apanage de l'hétéro. Les homosexuels, quant à eux, sont interdits d'écran ou réduits à de pitoyables caricatures comme celle de « la tapette ».

Mais là où le documentaire est intéressant, c'est qu'il nous montre les représentations sociales qui existent derrière ces clichés. Car la tapette ne s'applique que pour l'homme, on ne se moque que du gay, comme si sa représentation était l'insulte suprême portée à la virilité de l'homme. Tandis que la femme, ce sexe si faible, ne peut que s'embellir en se virilisant. L'extrait issu de Morocco est, en ce sens, très pertinent : Marlene Dietrich, habillée en homme, fait sensation et charme aussi bien l'homme que la femme... Finalement, ce qui gêne tant ces messieurs, c'est moins l'existence de l'homosexualité que la remise en question de leur idéal viril.

L'autre élément que The Celluloid closet révèle très bien, c'est le besoin de se sentir représenté. En effet, il est bien difficile pour de jeunes homosexuels de s'affirmer si le cinéma, cet éloquent miroir de la société, ne renvoi de vous aucune image.... Les différentes personnalités homosexuelles interviewées se rejoignent sur ce point : cette absence de représentation réaliste à l'écran a été préjudiciable à leur épanouissement. Certains vont même jusqu'à tolérer la caricature de la tapette, par dépit, faute de mieux...

Mais finalement, c'est lorsque la censure arrive vraiment que The Celluloid closet se montre le plus passionnant. En 1934 le code Hays est appliqué, les perversions sexuelles sont traquées et l'homo est mis au placard. Tout du moins théoriquement, car dans les faits il n'aura jamais été aussi présent à l'écran ! Pour contourner les interdits, les cinéastes rivalisent d'ingéniosité et truffent leur film de sous-entendu plus ou moins explicite : Monty Clift et John Ireland comparent leur gros calibre dans Red River, Judith Anderson propose à Joan Fontaine de toucher sa toison dans Rebecca, Peter Lorre annonce sa présence par une carte parfumée dans Le Faucon Maltais... Les homosexuels sont partout et le public, pas dupe, a vite appris à les repérer. Ne nous en cachons pas, ce sont les anecdotes qui font le sel de ce type de documentaire, et ici la plus croustillante demeure celle concernant le tournage de Ben Hur. Gore Vidal, le scénariste, nous raconte comment a été mis en place l'amourette entre Ben Hur et Massala, au nez et à la barbe de Charlton Heston. Savoureux !

Méthodiques et refusant la surenchère, Epstein et Friedman mettent en avant le poids de la société sur la machine hollywoodienne. L'image des homosexuels à l'écran n'est que le reflet des représentations sociales, selon eux et si les producteurs ne cherchent pas à enfreindre ces règles tacites, c'est avant tout par conformisme. Si The Celluloid closet est une réussite, deux bémols s'imposent : tout d'abord on peut regretter ce choix de ne traiter le sujet que d'un point de vue hollywoodien. Parler de l'Europe, et de cinéastes tel que Pasolini ou Visconti, aurait sans doute été intéressant. Et puis, on peut s'étonner de la naïveté du propos final. Si dans les années 90, bien des tabous ont été levé, l'image de l'homo n'est pas encore totalement réaliste. Comme le prouve, d'ailleurs, le succès d'un film comme Philadelphia : l'homo est le bon gars qui a les traits de Tom Hanks, c'est un personnage hors normes qui a un destin tragique.

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le 3 févr. 2023

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