Ce sera donc l’un, sinon le grand sur-côté de l’année 2011. Deux regrets majeurs : d’abord, que cette surévaluation soit aussi transparente, démonstration ultime de l’omnipotence des industries mainstream au détriment (et en usurpant son nom!) du cinéma labellisé "authentique", "d’auteur", voir alternatif. Ensuite, que le cinéma français ne puisse être reconnu et récompensé de façon significative que pour des productions globalement défrancisées.


Néanmoins, The Artist marque la consécration de Michel Hazanavicius, dont les trois premières livraisons ont révélé toute la créativité, en dépit du scepticisme qu’inspirait l’amorce de sa carrière, puisqu’elle se déroulait à la télévision sur Canal+. Hazanavicius est désormais lié à Dujardin, qui devient de fait son acteur fétiche, son Johnny Depp. Ouvertement policé, The Artist est naturellement loin de l’irrévérence de OSS 117, mais il met aussi en valeur les limites de cette filmographie et pose le doute : finalement, peut-être qu’Hanazavicius, virtuose technicien et narrateur, ne sait que sublimer les matériaux qu’on lui prête ou qu’il décide de s’approprier. C’était le cas avec La Classe Américaine, son premier long-métrage, ou il compilait des morceaux de films-cultes américains en les doublant avec un français farfelu. La créativité de Hanazavicius était confirmée avec les deux OSS, ou il déployait un sens aigu du grand-guignol, de l’allusion (parfois folklorique) et de la farce borderline (Rio ne répond plus étant le point culminant). Mais cette inventivité paraît dépendante d’un support extérieur ; comme si, seul, Hazanavicius ne pouvait rien fabriquer, mais que son talent consistait plutôt en la mise en scène d’univers pré-existants, voir pré-mâchés. C’est donc plus certainement un cinéaste-critique qu’un artiste-iconoclaste ; d’ou la réussite actuelle, d’un réalisateur sachant concilier style et conventions. A condition que le matériau soit valable ; or ici il est chancelant, promotionnel et il est manifeste que The Artist est à la fois une œuvre de commande à la gloire d’un mythe épuisé, en même temps que l’oeuvre d’un fan trop obnubilé, trop enfantin, pour maintenir sa lucidité acide et rebelle.


Ce film sur l’avènement du parlant avec en toile de fond, un amour niaiseux pleins d’obstacles et de sentiments ambivalents (orgueil, jalousie, admiration) est un produit totalement creux, mais d’une dextérité absolue. Il n’y a pas de mystère, The Artist est une œuvre formelle et synthétique, rien d’autre. Et le contrat est rempli : Hazanavicius cumule les idées de mise en abyme, allant même jusqu’à conceptualiser son propos en l’adaptant physiquement à ses méthodes. Cette démarche s’épanouit notamment dans une scène cauchemardesque très inspirée, que d’aucuns qualifieront avec empressement de cinéma pur.


Sauf que The Artist est d’abord un divertissement et qu’il n’est jamais plus séduisant qu’en assumant sa frivolité, ne convaincant guère dans sa phase de gravité. Le solennel ne lui va pas, les intenses effusions sentimentales paraissent excessivement artificielles et poussives, tant le drame est infondé. La lourdeur est elle que même la mielleuse romance heurte par son incohérence, sa construction malhabile. The Artist inspire alors une satisfaction penaude, mélange d’indifférence et de respect pour les efforts et la maestria déchaînés, réclamant légitimement (en raison de leur qualité objective et littérale) les applaudissements sans les mériter. Rien ne transpire ni n’éclate de et dans The Artist (les curieux concluant "tout ça pour ça" sont ou seront légions).


Au-delà de ce qu’il est, The Artist est approuvé et acclamé pour ce qu’il implique : un peu à la façon de La Môme sans en partager les tares et le lyrisme méthodique et assourdissant, The Artist dispose d’une valeur culturelle indépendante de ses qualités propres, mais associée à l’identité cultu(r)elle mise en scène. Le geste est si bien accompli, si dévoué à l’âge d’or d’Hollywood, que ce programme chic et bien-aimable en révèle toute l’absence de profondeur. Le génie consiste à utiliser la banalité pour la camoufler sous des dehors enjoués et aguicheurs ne laissant jamais de répit, pour que les aspirations candides trouvent leur sublimation dans la légèreté et l’allégresse.


De fait, Hazanavicius est aussi besogneux et minimaliste (tout en étant brillant) que les modèles après qui il court ; or un faiseur ne peut pas s’engouffrer dans les brèches s’offrant à lui. Lorsque la ringardise et l’angoisse se confondent, un univers étrange surgit, tapis dans l’ombre, étouffé sous la lumière filtrante des projecteurs voraces et aveugles. Par moments, The Artist affiche le potentiel d’un film d’horreur, mais ne l’assimile pas. Résultat, le tragique seul occupe l’écran alors que le comique sardonique de la situation est évident. Drame inconséquent et hésitant, The Artist est aussi un piètre mélo, alors qu’il est assez bon en tant que divertissement pur (imitant et modernisant avec brio), avec même par endroits la magie de la comédie musicale hollywoodienne (classique et normative, mais néanmoins captivante pour sa théâtralité). Pas ennuyeux pour autant en raison de son agitation compulsive, le film semble néanmoins très long, comme abusant de la patience de spectateurs déjà acquis au fait que tout est réglé.


https://zogarok.wordpress.com/2012/05/25/sorties-fin-2011-the-artist-a-dangerous-method/

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le 16 déc. 2013

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