Critique brève et sans spoilers : claque inattendue, pas juste le pré-slasher que j’attendais mais un vrai chef d’œuvre de cinéma à mes yeux, quelque part entre Psychose, Halloween, Zodiac, Mindhunter et d’autres… Photographie, musique, casting, aident à parfaire le tout.


Analyse plus longue - SPOILERS :


Le film est encadré par le slasher. La scène d’intro est une adaptation fidèle d’un précédent court du réalisateur, « The Sitter », mais avec une meilleure lumière, un découpage plus fluide et maîtrisé, et une meilleure interprète, la très touchante Carol Kane. Comme tous les autres acteurs de ce film, on est frappé par son naturel, par le réalisme que l’interprète apporte. Cette première partie se base sur un vieille légende urbaine, celle du harceleur au téléphone, adapté dès les années 40 au cinéma avec « Sorry, wrong number » d’Anatole Litvak, et qu’on retrouve un peu partout dans le cinéma. Côté slasher, ce motif est là dès « Black Christmas » de Bob Clark.


Dans cet angoissant acte 1, le tueur n'est qu’une voix. Arrive une ellipse, on suit, des années après les évènements, l’évasion du serial killer depuis un asile et la traque du flic devenu détective privé, hanté par l’affaire. Le slasher mute en film noir, fidèle à l’esprit des 70’s par ses vues réalistes sur un monde urbain et nocturne. Le tueur reste jusqu’à la trentième minute une simple voix jusqu’à ce que la caméra saisisse cette voix sur un objet : une bobine, un enregistrement de l’asile. La voix se concrétise, et, par surimpression l’objet se transforme enfin en visage.


Le tueur apparaît enfin, et son visage pathétique et terrifiant à la fois évoque une version moderne de Peter Lorre. Complexe et nébuleux, le film devient une exploration du désir de vengeance de l’ex-flic et de la pulsion meurtrière du déséquilibré. Au centre, une femme. Pas la baby sitter du premier acte, comme attendu, mais une femme d’âge mur, que le lunatique a croisé par hasard dans un pub après son évasion. Cette scène de rencontre fait ressentir avec justesse toute l’angoisse du harcèlement : où comment par la mécanique du cinéma d’épouvante rendre compte de l’oppression éprouvée par une femme dans un lieu public face à un homme menaçant, alors que, dans les faits, il ne faits, il semble ne rien faire de « grave » (le film n’exagère pas ses actes). Il propose du feu, elle le remercie poliment mais répond qu’elle a son briquet, il insiste toutefois pour proposer un verre, elle refuse tout aussi poliment en s’écartant, il change de siège pour la coller et lui tendre le verre, et la tension monte ainsi pour créer une scène mémorable. Les réactions des quelques autres clients participent de la réussite de cette séquence. On sent, sans que rien ne soit trop souligné, comment le déséquilibré doit se sentir impuissant et honteux face aux autres hommes, et comment ce complexe ressurgit injustement contre les femmes.


Dans ce grand chapitre central (tout l’acte 2 du film, si on scrute la structure scénaristique), un nouveau trio d’acteur toujours aussi merveilleux mène le film, après l’introduction qui ne tenait que sur une seule figure. Charles Durning en détective, Dirty Harry pas sexy, entêté mais empêché dans les filatures par son corps trop imposant ; Colleen Dewhurst en femme harcelée par le tueur et appât pour le flic, femme aux rides magnifiques, visiblement esseulée et fréquentant les comptoirs de bar, qui gardera son mystère et son aura, dotée d’une force touchante face au harceleur ; Tony Beckley en tueur qui sombre dans la pauvreté et l’errance, soudain obsédé par cette femme rencontrée au gré du hasard. Un chapitre glauque et puissant, qui vient agiter des peurs profondes et morales, plus que des sursauts et des frissons, traque vécue au ralenti comme pour nous mettre dans un état de malaise.


Avant d’enchaîner, comme toujours par surprise, sur un dernier acte qui nous embarque finalement chez la baby-sitter, quittée depuis près d’une heure, qui a refait sa vie. Tout va bien pour elle, elle a épousée l’homme de sa vie et a deux enfants, mais le basculement vers l’horreur se fait quand le téléphone sonne : image stupéfiante du traumatisme, l’ancienne baby sitter passe du sourire quotidien au hurlement d’épouvante, une simple phrase suffit à la replonger au présent du pire jour de sa vie. La phrase en question, « Have you checked the children », hantera le spectateur aussi longtemps qu’elle. Le slasher revient dès lors pour les dernières minutes du film, c’est-à-dire un effroi « pur », au présent, avec un jeu du chat et de la souris, de méfiance de chaque instant… mais cette fois, par un phénomène d’addition, nous sommes chargés d’un sentiment d’inquiétude plus grande (morale), d’un certain vertige, d’une profonde mélancolie. Résultat, les derniers « chocs » du film sont comme amplifiés, jusqu’aux ultimes secondes qui ont été l’une des plus grandes frousses de ma vie. Plus active et courte, cette dernière partie interroge notre capacité à douter de la parole d’une victime (est-elle devenue folle, entendait-elle son agresseur quand il n’y a personne au bout du fil ?), et l’obsession sécuritaire (des loquets et des fusils empêchent-ils le drame ?). Les réponses apportées toujours aussi justes et intelligentes.


Que dire de plus ? Ce film somme de plusieurs genres horrifiques se hisse pour moi très haut, tout près de « Psychose » dont il hérite magnifiquement pour son architecture qui bouscule, et la puissance de son atmosphère, de son découpage, de son scénario, de sa musique et de son interprétation.

BlueKey
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le 1 nov. 2022

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