Sorti en 2001, Mulholland Drive est rapidement considéré comme l’un des plus grands films de David Lynch et comme l'un des chefs d’œuvres du cinéma. Face à ce film retors, le spectateur peut se laisser embarquer dans les méandres de la folie qui en émane, comme on le ferait face à une oeuvre des poètes surréalistes, soit (aux visions suivantes) à la recherche de la clef (bleue) du mystère, afin de reconstituer les pièces du puzzle et de l'intrigue vécue par Betty/Diane. Pour autant, ce jeu de déconstruction du récit n'est pas un simple geste poseur, de cinéaste complaisant. La forme, indissociable du fond, vient avant tout créer des émotions et une expérience sensorielle rarement atteints au cinéma. Grâce à ses acteurs, grâce à la qualité visuelle et sonore du film, et grâce à la maîtrise d’un cinéaste à l’apogée de son travail.


Mulholland drive cache indéniablement de nombreux secrets. On le découvre petit à petit. Le film n’est pour autant pas juste mystificateur – à bien des égards, il offre plus d’indices concrets que Lost Highway. C’est aussi un film profondément renversant, vertigineux et glauque. David Lynch se propose d'envoûter le spectateur dans ses nappes de son et de fumée, jusqu'à ce que l'on ne sache plus s'il on est éveillé ou si l'on rêve, jusqu'à en perde la frontière qui délimite l'écran du réel. Les visions oniriques du film sont de celles qu'on n'oublie pas facilement. Lynch utilise avec génie les accessoires cinématographiques pour parfaire son langage, qu'il a peaufiné au fil des ans depuis Eraserhead. En entremêlant rêves, souvenirs réels et temps présent, il brouille les pistes pour nous amener au plus près d'un sentiment de vertige, entre attirance et effroi. Cette ambivalence mène d’ailleurs le film, entre les vedettes glamours et les monstres-clochards inquiétants, une attirance pour les sommets de la gloire hollywoodienne et la peur de sombrer. Toujours ce goût des contrastes chez Lynch, contrastes qui atteignent leur climax dans ce film somme.


Il n’est pas anodin de savoir que Mulholland drive était initialement un projet de série (la légende raconte qu’une première version de Mulholland drive avait à voir avec le personnage d’Audrey Horne de Twin Peaks). La série tombant à l’eau, Lynch parvient à transformer le pilote en long-métrage de cinéma grâce au producteur français Alain Sarde. De nouvelles séquences sont tournées. Cette origine sérielle du film participe aux nombreuses fausses pistes qu’il contient, et qui en font un puzzle dont le spectateur peut se perdre à reconstituer. Comme dans Twin Peaks, le fil principal (Diane et Camilla) semble sans cesse se rompre et se perdre dans des intrigues parallèles, celles du réalisateur Adam Kesher et celles d’un gangster et tueur à gages. Pourtant, ces intrigues parallèles apparaissent progressivement comme reliées à Diane et Camilla. La beauté du film tient probablement dans sa construction, qui nous fait passer d’un rêve trop beau pour être vrai, à un cauchemar terrifiant, puis à une réalité triste et glauque, pour finir dans la mort. Lynch nous fait passer d’un monde à l’autre, et Mulholland drive se vit comme un voyage sensoriel et mystique.


D’un monde à l’autre, des éléments voyagent. Le travail du son est techniquement parfait, mais il est aussi intellectuellement fascinant. Des éléments sonores du monde réel, des phrases, des sons (mains qui cognent à la porte, sonneries de téléphone), sont rejoués et distordus dans le monde du rêve. On se dit qu’en écoutant le film, les yeux fermés, on y découvrirait peut-être d’autres secrets. Des anecdotes sans importances du monde réel deviennent un chapitre cauchemardesque dans le sommeil de Diane. Des visages, croisés dans une soirée mondaine, prennent une importance dans les méandres de ses songes.
Le décor d’Hollywood et ses films dans le film impose immédiatement au spectateur un regard critique sur tout ce qu’il voit. Rêve et réalité sont reliés par un lieu, le Club Silencio, où tout n’est qu’illusion. Il semble le lieu de passage entre ces mondes que Lynch créé. La boîte bleue est comme l’objet magique qui relie les dimensions entre elles. Elle apparaît une première fois, et Betty et Rita disparaissent pour passer dans une nouvelle réalité (la dernière demi-heure du film). Elle apparaît une seconde fois, quand Diane passe de la réalité à la mort en se suicidant… théoriquement ! Car « tout n’est qu’illusion », dit le magicien, et nos théories de spectateurs aussi. Nous sommes invité à sans cesse repenser le film que nous avons vu. Et si tout pourrait sembler gratuit, absurde, Mulholland drive nous apporte à chaque vision un nouvel indice pour ouvrir la boîte, une nouvelle preuve de sa cohérence, sans perdre de son impact émotionnel et sensitif.

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le 16 juin 2013

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