Je choisis volontairement d'emprunter pour ma critique, le titre du dernier "roman" de Delphine de Vigan, puisque j'ai retrouvé dans Taxi Téhéran le même savant mélange de fiction et de réel qui brouille les pistes en semant habilement le spectateur.


Dès les premières minutes du film, on ne sait pas trop dans quel type de film on se trouve : est-ce un documentaire spontané ? Qu'est-ce qui est mis en scène ? Les personnages sont-ils véritablement des anonymes, des passants lambda ou des acteurs ? J'ai aimé cet égarement entremêlant fiction et réalité.


Pour déceler la vérité des situations, j'ai scruté le visage de Jafar Panahi, y cherchant l'étonnement authentique, la surprise mais ce que j'ai souvent vu régner dans ses yeux, c'est bien la peur. On ne peut pas ne pas saluer le courage de ce réalisateur qui, rappelons-le, a l'interdiction de tourner et de sortir d'Iran. Il tourne donc son "vrai-faux documentaire" dans la plus totale clandestinité, comme une mise au défi du pouvoir en place. Mais on voit bien sur ses traits l'anxiété de l'homme qui se sait traqué, qui se sait marchant sur un fil qui peut se rompre à tout moment.


J'ai trouvé Taxi Téhéran fascinant (par son parti-pris artistique et scénaristique, la GoPro posée sur le devant du taxi, les clients qui vont et viennent et brossent un portrait si pittoresque de la société iranienne), passionnant (par tout ce que le film nous dit et nous apprend sur ce pays dont on ignore tout et dont toute la communication extérieure est biaisée), émouvant (le passage avec l'intellectuelle et ses roses m'a tiré des larmes...quel superbe hommage au cinéma. Rien que d'y repenser en écrivant, je crois que je pourrais pleurer encore), mais aussi drôle (la nièce de Panahi - future Marjane Satrapi ? - est absolument irrésistible d'intelligence et de maturité), vivant et évidemment incroyablement courageux politiquement de la part de Panahi.


On ne pourra pas ne pas noter l'omniprésence et l'importance du cinéma dans la société perse qui trouve dans ce biais une fenêtre, une ouverture sur le monde. Brandir sa caméra comme ultime bastion de résistance face à un régime qui muselle toute velléité libertaire. DVD occidentaux se passant sous le manteau comme un élément subversif de premier ordre, gamine de 10 ans (voilée) appareil photo numérique au poing, voulant filmer son premier court-métrage mais se heurtant aux (hallucinants) "critères de diffusion" du régime en place (et qui ne laissent évidemment aucune place à la moindre créativité)... Tous ces détails en disent long sur le manque de liberté auquel sont soumis les civils. Sans parler des multiples exactions et enfermements arbitraires d'innocents, notamment dénoncés par l'intellectuelles aux roses rouges.


Quel geste que ce film ! Quelle bonne idée ! Et puis cette plongée est aussi l'occasion de passer dans les rues de Téhéran, de constater la conduite anarchique des automobilistes (souvent conducteurs de voitures françaises), les accidents sur la chaussée, et bien sûr d'entendre la musicalité et l'expressivité de la langue persane ...


Pour toutes ces raisons, ce film est un chef-d'oeuvre à la portée politique et cinématographique immense.


A voir absolument, par toutes les générations.

BrunePlatine
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le 21 févr. 2016

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