Le MCU, ou Marvel Cinematic Universe, est en soit un bel oxymore de 26 films: on nous vend un prétendu «univers cinématographique», là où cet «univers» se rapproche bien plus d'une gigantesque série télévisée, mais diffusée au cinéma. Chaque film est en soit une bande-annonce pour le prochain, avec cette tendance plutôt exécrable des scènes post-génériques, et l'on remarque une perte de langage cinématographique dans tout ce vaste empire. Ainsi, le véritable mode de consommation qu'est devenu Marvel, géant d'Hollywood, s'éloigne du cinéma: il suffit d'aller voir les réactions en salles pour le comprendre. Devant chaque événement majeur ou chaque caméo, les applaudissements et cris des fans de comics retentissent. Désormais, l'heure n'est plus à à la mise en scène développée, mais aux énièmes rebondissements, aux personnages. En bref, une série. On serait alors tenté de grossièrement accuser Marvel, et à travers-eux, Disney et son empire, de tuer à petit-feu le septième art avec leurs «parcs d'attraction». Si cela n'est pas totalement faux, il faut tout de même tenir compte des résultats au box-office de la saga: les 6 942 474 entrées d'Avengers: Endgame (et encore, uniquement en France) ne sont-elles que des geeks venu admirer la continuation des aventures de leurs comics? Certainement pas, il y a un grand public avant-tout attiré par le grand spectacle que vend Marvel, dans ses tendances les plus grandioses, promettant une sorte de mythologie du XXIe siècle, les super-héros étant devenus de véritables icônes de notre époque. La question majeure est, de cette promesse à la réalité, quelle est la différence? Car de toute évidence, il suffit de voir la séquence de l'aéroport de Captain America: Civil War et ses tons grisâtres, le péché capital de Marvel est bien de faillir à ce grand spectacle par une mise en scène qui enferme l'action dans un petit cadre, d'une pauvreté abyssale, et même par un scénario indigne à ces mythologies modernes (Thor de Kenneth Branagh en est un bon exemple). Le précédent Spider-Man, Far From Home le montre bien: tout appelait à la démesure, les grandes villes, les monuments, le méchant, Mystério, mais la bouillie visuelle ennuyante, qui fait que l'on oublie dix minutes plus tard n'importe-quelle scène de combat, dominait et aucune ambition esthétique ne se démarquait.


Spider-Man: No Way Home, le tout dernier cru, se démarque alors avec étonnement: film-évènement à la Endgame, il s'agit pourtant d'un film «secondaire», sans grand méchant menaçant le monde entier par son claquement de doigt. Preuve que le public, davantage qu'à des orgies super-héroïques comme Endgame, s'intéresse à des héros plus singuliers, individuels, comme Spider-Man, qui s'inscrit dans un réel tangible, entre vie familiale et lycée. Surtout, de toute évidence, No Way Home, c'est la promesse du retour des méchants des anciens films: ceux des Amazing Spider-Man, d'abord, mais surtout de la trilogie de Sam Raimi, sommet du film super-héroïque. Dès lors se construit une attente, celle d'une continuité, de la reprise d'icônes et de leurs enjeux, qui aurait pu facilement finir en déception. Mais il n'en est rien.
En effet, No Way Home, n'y allons pas par quatre chemins, est bien le meilleur film de ce MCU. Certes, Jon Watts n'a ni la mise en scène d'un Raimi ni l'audace (et encore, à relativiser) d'un Gunn et n'est encore moins un «auteur» (ses deux précédents Spider-Man étaient d'une fadeur inconsolable), il réussit pourtant avec No Way Home une prouesse assez rare: faire du bon fan-service. On croirait ce terme antinomique tant le fan-service est par essence médiocre: il s'agit de se plier à l'avis du spectateur uniquement pour son plaisir, sans qu'il éprouve aucune surprise, aucune découverte, simplement en pur consommateur. L'exact opposé de l'auteur encore une fois, et une pratique commerciale avant-tout, qui, couplée avec la nostalgie exacerbée, produit le pire de l'industrie hollywoodienne (la postlogie Star Wars, Solo: A Star Wars Story, Indiana Jones et le Royaume du crâne de crystal, etc.). Pourtant ici, celui-ci semble justifiable, mieux, jouissif tout en étant intelligemment exécuté. Certes, le caméo de Daredevil s'apparente davantage à une grosse ficelle scénaristique camouflée qu'à du bon fan-service, mais


le retour des héros (et oui, spoilers, Tobey Maguire et Andrew Garfield sont bien présents) de notre enfance et de leurs opposés ne déçoit pas, bien au contraire


: non seulement Alfred Molina et surtout Willem Dafoe en Bouffon Vert rappellent leur maîtrise des personnages, non seulement la laideur d'Electro de The Amazing Spider-Man - Le Destin d'un héros cède à un jaune plus sobre et soigné, mais surtout l'héritage de ces générations précédentes n'est pas figé dans un temple narcissique et atone. Bien au contraire, il s'agit de le faire évoluer, de l'assimiler dans la fraîcheur de la nouvelle génération et même de le questionner (donnant lieu parfois malheureusement à l'humour si médiocre et disruptif qu'usent les films Marvel depuis leurs débuts).


Ainsi, le personnage de Tobey Maguire a ici figure de super-héros vieillissant, parfois un peu ridiculisé, mais aussi de mentor pour Tom Holland (dans un final aux allures de soufflé cependant: pourquoi le blesser, en insistant dramatiquement, dans le combat contre le Bouffon, si ce n'est pas pour le tuer), tandis que celui d'Andrew Garfield obtient sa rédemption en sauvant Zendaya, en opposition à la mort d'Emma Stone dans Le Destin d'un héros. De cette manière, No Way Home évite des images fixes et ternes et créer au contraire des héros en mouvement.


Par-dessus tout, ces nouveaux anciens éléments font avancer le récit. Il serait vain de préciser les nouveaux dangers que fournissent les «Sinister Six», cependant,


Maguire et Garfield apportent des idées, des images et des ambiances qui manquaient à Holland.


Ainsi, l'aspect «teen-movie» qu'avaient Homecoming et Far From Home se transforme davantage en drame, à l'aspect quelques fois sombre, de la même manière que Raimi arrivait auparavant à transformer une intrigue adolescente, parfois même ridicule, en véritable tragédie. Plus singulièrement encore, l'image immature qu'on pouvait reprocher à Holland, sans aucun véritable mérite et sous le contrôle de Tony Stark/Iron Man, laisse place au héros bien plus indépendant, populaire même: «He's... just a kid. No older than my son.» disait un homme banal dans Spider-Man 2. Un héros au visage masqué car universel.


Pour autant, bien entendu, No Way Home reste un film Marvel, sous le contrôle d'un studio qui considère éminemment ses films comme des produits, Disney, et manque cruellement d'un auteur, d'un Raimi ou même d'un Gunn (oui, oui, c'est dire). Ainsi, le film reste gâché par l'atmosphère général d'autodérision pseudo-méta qui voudrait prendre les spectateurs les plus récalcitrants dans sa poche, vainement, commune à tous les Marvel. D'autant plus que la gravité abordée est autant une opposition intelligente qu'une contradiction qui sclérose le film, preuve d'une grande inégalité, que l'on retrouve à beaucoup de niveaux. Inégalité dans les rôles (on voudrait nous vendre une gigantesque bataille de méchants, mais en réalité le Lézard tout comme l'Homme-Sable n'ont pas une once d'importance), inégalité dans le scénario


(l'apparition de Tobey Maguire semble sans aucun naturel)


, inégalité de rythme.


Simplement, Spider-Man: No Way Home, malgré tous ses défauts et tout en nous projetant dans notre enfance, parvient, et ce également avec son aspect événementiel, à créer un spectacle total, qui témoigne d'une maîtrise, simple mais efficace, rarement vu dans les précédents Marvel. L'action/bouillie visuelle mal filmée cède à une photographie parfois belle, souvent efficace, et qui laisse place à des scènes majestueuses. Là où Far From Home nous promettait un déluge de «disaster porn» avec sa galerie de monuments célèbres ravagés mais ne nous offrait qu'un film d'action mollasson, sans aucun réel dégât ressenti, puisque l'on voyait la facticité du décor à vu d’œil, tel les projections de Mystério justement, No Way Home se centre sur un décor, plus simple, vu et revu, la statue de la Liberté. Mais justement pour nous proposer une scène bien plus authentique: l'action est spectaculaire et les personnages charismatiques, c'est certain, entraînent dans un investissement dramatique que l'on avait oublié possible dans le MCU, entre les divagations niaises (attention, la subtilité n'est pas pour autant le point fort de No Way Home) des Gardiens de la galaxie Vol.2 ou le tire-larme d'Avengers: Endgame. Faire du neuf avec du vieux.


(Et oui, ça fait incroyablement du bien de revoir Tobey Maguire et Willem Dafoe dans un même film.)

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le 18 déc. 2021

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