Le film est à n'en pas douter un chef d'œuvre de mise en scène.

S'il est une critique que nous ne pouvons faire à David Cronenberg c'est celle de la répétition. Le réalisateur canadien est l'auteur de vingt long-métrages et a emprunté des voies formelles très différentes. La palette est vaste : ses débuts sont gore et anatomiste ; ses derniers films (A Dangerous Method, notre critique, et Cosmopolis) sont plus verbeux et abstrait ; quant à Spider, il est contemplatif et essayiste (l'acteur principal, Ralph Fiennes, ne devait guère avoir plus d'une page de dialogues à apprendre). Si Cronenberg ne convainc pas toujours, il stimule tout le temps par son audace, ses obsessions et sa mise en scène.

David Cronenberg fait ici un choix courageux. Alors que certains de ses confrères auraient usé de ressors narratifs divertissants comme le twist (cf. le balourd Shutter Island), Cronenberg abandonne l'ambition du divertissement pour viser la dissection froide de l'esprit malade. Il en résulte une grande complicité entre le spectateur et le réalisateur car Cronenberg nous parle plus directement. Il accompagne et prend le temps de la démonstration. A ce titre, Cronenberg réalise un merveilleux générique d'entrée en matière. Nous y voyons défiler des taches sur des murs rappelant le fameux test de Rorschach ; nous imaginons alors immédiatement l'interné psychiatrique contraint à projeter inlassablement ses psychoses sur les mêmes murs décrépis. Comme souvent au cinéma, le générique est suivi par le premier plan du film (un travelling qui est devenu la signature du réalisateur). Celui-ci ne laisse aucune ambigüité quant à l'état mental de son protagoniste. Nous réalisons rapidement que la finalité ne sera pas une guérison miraculeuse et malvenue mais de suivre le cheminement d'une introspection.

Ce sont tous les talents de metteur en scène de Cronenberg qui sont mis au service de la retranscription à l'image de l'esprit dysfonctionnel de Dennis. Le personnage, en pleine introspection, revisite son adolescence et mène l'enquête sur son trauma. Ces scènes sont d'abord des flashbacks classiques puis des objets plus étranges d'expression à la fois consciente et inconsciente. Les scènes que l'adolescent n'a pas vécu et que l'adulte ne peut que reconstruire sont particulièrement troublantes. Le nœud traumatique se fixe sur la sexualité maternelle. Une fois celle-ci révélée, la mère perd sa pureté mariale pour se transformer en prostituée. Les deux visages maternels, leur opposition et le délire adolescent sont si sublimement mis en image par David Cronenberg que le spectateur n'en oublie pas de faire résonner son histoire personnelle.

Le film est à n'en pas douter un chef d'œuvre de mise en scène. Avant A Dangerous Method, nous retrouvons déjà l'intérêt du réalisateur pour la psychanalyse, Freud et son complexe d'Œdipe. Le film est un bouleversement tant il montre que nous réécrivons en permanence notre histoire et que notre propre réalité nous est inaccessible. La vie en devient une œuvre de fiction où s'agitent des conglomérats de traumatismes non résolus. Une mention particulière doit être faite à l'actrice (Miranda Richardson) campant avec autant de brio la mère aimante et réconfortante que l'épouse sexuée.

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Auteur : Maxime
LeBlogDuCinéma
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le 3 juin 2012

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