Blaise Pascal émettait l’idée que le malheur de l’Homme était de ne pas pouvoir « demeurer en repos dans sa chambre ». Le fait que l’Homme soit en perpétuel mouvement, dans une quête absolue du bonheur et d’agitation, d’un dépassement des limites immuable, alimentait son malheur. En ce sens, Terrence Malick rejoint cette notion en filmant les turpitudes des sentiments humains dans l’espace clos qu’est notre monde contemporain. Qu’on se le dise, Song to Song ne révolutionne pas le cinéma de l’américain.


Ceux qui sont irrités par son maniérisme visuel et narratif continueront à ne pas aimer cette direction artistique. Et ceux, qui ont aimé To the Wonder ou Knight of Cups, enlaceront avec joie la douceur du vague à l’âme initié par le réalisateur. Comme souvent chez Malick, notamment lors de ses derniers films, Song to Song nous montre des histoires d’amour malmenées, cette voix off qui se questionne, un décorum urbain vide de toute humanité, la déliquescence d’une certaine vision du matérialisme, des personnages qui déambulent en sifflotant ou divagant béatement dans l’œil d’une caméra toujours en mouvance.


La beauté des images est toujours présente, elle magnifie Song to Song, avec ce même montage alambiqué qui coupe les scènes les unes après les autres, comme si l’on assistait à la dissection d’un puzzle. Sans être une parodie, Song to Song est une synthèse des dernières œuvres de Terrence Malick, qui malgré tout, arrive toujours autant à fasciner et à trouver un écho à son discours.


Premièrement car cette fois ci, Terrence Malick donne une consistance un peu plus importante à ses personnages dévorés par le star system et asphyxiés par l'argent et le succès (représentés par Cook joué par Michael Fassbender), qui ne servent pas seulement d’épouvantails mettant en scène les thèmes du film, mais articulent l’ensemble du récit en mosaïque autour de relations amoureuses ou de conflits familiaux : que cela soit ce musicien prometteur en délicatesse avec sa famille, cette serveuse qui touche du doigt les strasses et paillettes avec la peur de l’inconnu et surtout, cette jeune femme pleine de rêve qui s’enrôle dans le monde la musique.


Ce qui permet notamment à Rooney Mara et Ryan Gosling de crever l’écran : la fragilité de l’une, le regard frondeur de l’autre, le physique minaudé à elle, sa présence à lui et leur charme déteignent sur tout le film. Elle, est d’une humilité stupéfiante. Deuxièmement, et c’est surtout cela qu’il faut retenir de Song to Song, c’est la capacité de Terrence Malick à ériger son esthétisme à travers le thème de la désincarnation du monde qu’il scrute. Sa réalisation prend le pouls de l’isolement de l’humain dans son environnement aussi grandiloquent que vide.


Car même si les personnages prennent forme et émeuvent à certaines reprises, notamment à travers les rapports à la famille (la tragique mère jouée par Holly Hunter), la caméra de l’américain dévisage notre époque actuelle, et visualise l’humain comme un simple animal errant en proie au doute. Terrence Malick, certes avec un regard un peu daté, filme avec perfection l’urbanisation de nos villes, met parfaitement en scène ces petits moments de vie, ces discussions autour d’un verre, cette opposition entre le miroitement de l’âme et la résonance ambiante anxiogène.


Dans cette atmosphère moderne, avec cette délectation du monde de la musique, et ses nombreux guets (sublime et hypnotique Lykke Li), Malick accentue la différence entre le bruit collectif des festivals et l’isolement introspectif de ses personnages, et permet à son film d’avoir de multiples respirations, de suivre le cour du vent, de s’aérer et de s’évader vers l’antre qu’est la nature, et même de trouver un certain dynamisme assez jouissif dans l’exposition de son histoire qui s’éparpille en souvenirs désarticulés passionnants.

Velvetman
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le 19 juin 2017

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