Titre emprunté à une autre œuvre de Shusaku Endo "Une Femme Nommée Shizu"


Une évidence d’abord. Silence est un film réalisé par un Sicilien catholique et adapté d’un auteur Japonais issu d’une famille convertie au catholicisme. Le résultat est sans concession : le film flirte avec l’exégèse, la profession de foi et le témoignage. Sans lénifier, Garfield est éprouvé, fatigué, tenté dans cet archipel marécageux. Aussi, qui mieux que cette association italo-japonaise pour donner corps à ce chemin de croix.


Car au-delà de cette alchimie, il y a aussi cette jonction ambiguë, Japon et Catholicisme. Au moment du bilan de l’évangélisation, les continents africains et sud-américains apparaissent comme des évidences. Tout au plus, au Viêt-Nam si l’on devait évoquer le continent Asiatique. Quelle surprise donc de suivre les pérégrinations des Jésuites au Japon au XVIIème siècle. L’auteur comme le réalisateur posent ensuite les bases d’une réflexion à rebours de la mythologie chrétienne. Portugais comme Hollandais apportèrent tantôt la Bonne Nouvelle, tantôt les jalons d’un partenariat commercial. Mais la barrière à l’entrée n’est point de l’ordre de la barbarie, de la langue voire de l’éducation. Cette barrière est culturelle, rituelle et philosophique. Exit donc ce traitement qui visait à montrer une évangélisation pédagogique voire clairement colonisatrice. Le refus est ici argumenté…et le plus possible dans la langue du colon. Plutôt que de parler d’une "négociation" d’égal à égal, Silence n’oublie pas de relever la portée contemplative et stoïque de la culture japonaise. Les points d’achoppements ne sont pas de l’ordre de l’incompréhension ou du manque de savoir. Loin de bonifier ou condamner une partie ou l’autre, Silence suit la mise à l’épreuve d’un représentant d’une confrérie mais aussi d’un fondé de pouvoir face à l’afflux croissant d’étrangers.


A ce titre, Scorsese met en exergue ce rapport entre la douleur et la foi. Dans les rites comme dans sa représentation artistique, le catholicisme a ce lien avec la fatalité, la mélancolie et la souffrance. Ces martyrs, ces néophytes du latin, adepte de néologisme pour mieux s’approprier la Sainte Parole ont ce zèle comme ceinture et cette foi (ou insouciance) vissée comme un casque. Ce jusqu’au-boutisme se heurte à ces gardiens de coutumes millénaires. Certes, il y a ce refus théologique, philosophique mais il y a aussi ce pressentiment d’une déperdition de l’essence de la culture nipponne et de son invasion tout azimut par des commerçants. Malice narrative donc d’inverser ce rapport à l’apport de l’étranger. Pas d’acceptation béate ni même de répression par le sang. Le dialogue d’abord, la mise à l’épreuve ensuite. Puis vient le choix entre l’apostasie ou la punition (avec ce que cela implique en matière de souffrance en continue).


De cet entêtement à se croire dans la vérité, Scorsese en tire une réflexion préambule au futur atermoiement entre Catholique et les non-chrétiens (les Protestants), soit le fondement de la foi. Celle de la Parole transmise mais récitée benoitement ? Celle en des symboles ? Celle en des représentations imagées entretenues comme des reliques ? Celle en ses représentants sur Terre ? De la dévotion à la cécité, de l’excès de zèle au doute, du refus au renoncement, le film interroge sur le sens donné au Prosélytisme dans l’Histoire.


Au même titre que ces rivages protégés par ce fronton de brouillard, Silence invite à franchir ce préjugé, à aller au-delà de ce soi-disant flou entourant l’archipel. Il ne s’agit pas ici de comprendre les raisons du refus. Mais d’assister à ce réflexe (insulaire ?) qui consiste à douter sans tolérer l’Autre. Et si Shusaku Endo aborde de manière plus subtile ce rapport quasi-forcé entre les traditions japonaises et celles découlant de la foi chrétienne, Martin Scorsese parvient à dresser une fresque testimoniale sur la Foi dans un contexte jugé décadent par le Vatican. Musique réduite à sa plus simple expression, plans liminaires, Silence se dépouille (sans que cela desserve le long-métrage) pour mieux cerner, accompagner et ceindre les turpitudes de ces personnages. Car si le doute n’est pas forcément antinomique avec la Foi, il ne traverse pas de la même manière tous ses récipiendaires.

RaZom
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le 13 févr. 2017

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