Se rendre au cinéma a tout de l’expérience intimiste voire égoïste aujourd’hui. Adieu l’équarrissage de titres anglais devant le caissier, bonjour donc écran digital (voire réservation sur smartphone). Du coup, face à ce foutu moniteur récalcitrant (oui je suis atteint du syndrome du "doigt qui appuie sur TOUT sauf sur le bon film"), il n’est pas rare de psalmodier quelques verbatim, anecdotes en attendant l’impression des billets. Aussi, face au scepticisme de ma moitié, j’avais l’argument imparable, celui du pseudo-connaisseur qui "avait vu le 1er"…


120 min après, cette phrase raisonnait encore. Oui, j’avais vu le 1er. Je n’en gardais d’ailleurs pas un sentiment impérissable. C’est ce fameux temps du film de France 3 le jeudi soir, celui où à défaut de "Julie Lescaut" ou "Envoyé Spécial" ben tu te laissais aller à cette petite douceur gentiment rétro sur "la 3". Puis en inspectant un peu plus ma mémoire, je me souviens avoir trouvé ce long-métrage un peu trop excessif, décadent. Peut-être l’environnement de la cohabitation politique de l’époque, ce jospinisme aussi tranquille que trop "propret" avait travesti mon jugement (juvénile) de l’époque. Vient ensuite mon réflexe de l’époque : feuilleter mon programme TV et regarder en plus du nom du réalisateur, l’année de production.


Ce quasi-réflexe a longtemps nourri mes choix tout en construisant ma manière d’apprécier un film. Mad Max Fury Road, comme le 1er du nom, s’inscrit dans un momentum. A la fin en eau de boudin du mandat de Carter, à ce Reaganisme rampant doublé de Thatchérisme et de Giscardisme plus glamour qu’efficace de l’époque, on serait tenté d’y superposer la défiance populaire actuelle (tendant au populisme voire à la diffusion de relents et propos segmentants) face à la classe dirigeante, l’inertie de celui qui promettait pourtant que "l’on pouvait" voire l’écho plus que retentissant d’orateurs et/ou autres prophètes d’une dissidence qui sera fatale. C’est ce qui fait que j’ai mis du temps à percevoir Mad Max autrement que comme un gentil film d’action de son époque. Forcément, quand on replace la sortie du film avec les tensions en Iran, en Afghanistan, les prémices des enjeux autour du pétrole, la glorification naissante du mythe du "Golden Boy", cet amalgame de violence, de sale, de vitesse, de relents primaires, offre une toute autre grille de lecture…


Drôle de coïncidence donc avec la sortie de Mad Max Fury Road qui, par son opportunisme, interpelle tant les sujets mis en avant nous renvoient à l’essence même du cinéma, du divertissement et de l’entertainment : celui d’actionner des leviers (joie, étonnement), les manier avec plus ou moins de précaution et confronter donc le spectateur avec ceux qui le révulse, le satisfait voire l’intrigue. A ce titre, Mad Max Fury Road remplit son rôle : il nourrira bien sûr le débat sur la nécessité d’une telle frénésie, fera intervenir les adeptes du "au final on n’est plus très loin de ce que décrit le film", tout en créant une certaine gêne chez ceux pour qui ce déferlement primaire a été plus un divertissement qu’une fable prophétique apocalyptique.


Car l’essence du film épouse parfaitement les contours de son protagoniste : mutique, psychédélique, désenchanté, bestial. Alors oui les doigts de la salle où j’ai vu ce film ne suffiraient pas pour relever le nombre de fois où Max aurait dû, devrait mourir. Mais cette intempérance a un mérite et va au-delà du fameux "vote d’adhésion" autour d’un personnage ciné. Loin de subir, on visionne Mad Max Fury Road comme on embarque dans une Ferrari côté passager sur le Nürburgring : on attache sa ceinture, on met son casque et on se cramponne. Inutile de regarder le compteur, essayer de déceler la musicalité du moteur ou la fluidité des passages de vitesse. Non le curseur est au max(imum), la vitesse au summum, le paysage un long enchaînement de chicanes et autres virages. A la fin du film, il ne s’agira pas de "plaindre" encore une ville dévastée, le secteur du BTP, l’urbaniste du coin ou encore le propriétaire de la Toyota au moment où…ce vide au nombreux visages ne fait qu’accentuer, susciter et encourager une pensée primaire, restrictive et directe. Et tant pis (tant mieux ?) si la frontière entre les personnages est une déformation sans nom. Idem pour ces enjeux de pouvoir réduit (brillamment) à des besoins de première nécessité et donc à des réactions irrationnelles. A une profondeur de rigueur face à de telles problématiques, Mad Max Fury Road y oppose une trajectoire rectiligne. Point de mépris, ni propagande dans cette prise de position. Juste une soif de divertir inextinguible rehaussée par des parallèles possibles avec un avenir possible/fantasmé, une histoire qui se répète(rait) libérant les atavismes les plus primaires.


Reste cette question du momentum. Et l’on se heurte à des considérations qui transcendent le postulat du film d’action pour l’action et pour les effets spéciaux (par ailleurs bluffants) : interpellation ? Prophétie (auto-réalisatrice) ? Cynisme poussé à l’extrême ? Face à la promptitude actuelle à capter, à exciter les interrogations d’autrui, à cette obsolescence de plus en plus précoce des idées, des personnalités, ce parfum mêlant idées préconçues et absence d’idées nouvelles/fraîches, Mad Max Fury Road pourrait être cet oncle un peu âgé dont les paroles transpirent défaitisme, nostalgie réac’, prédiction exagérée matinée par cette philosophie tendant à réduire l’homme à sa plus simple expression. Et si l’on se déplace un peu plus dans le temps, qui sait si RaZom(a) Jr verra ce film comme un film charnière, une uchronie, un nanar…et c’est là toute la beauté (et la glorieuse incertitude) du divertissement. Celle de mettre en "boîte" (à jamais) des images pouvant être vu à différent moment et permettant d’en accentuer la naïveté, les défauts. En somme de faire et défaire la notoriété d’un film. Et qu’importe la vitesse à laquelle se (dé)construira la renommée de Mad Max Fury Road, nul doute qu’à l’instar de son rythme, ce long métrage continuera à attiser les prises de position les plus radicales, les plus prononcées…(avec 28 critiques rédigées par mes éclaireurs, la multiplication des superlatifs et autres griefs, tout porte à croire que ce n'est pas prêt de s'arrêter)

RaZom
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le 20 mai 2015

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