Au cœur du labyrinthe de la folie de Jack

Shining est une oeuvre déroutante dont l'interprétation se fait selon sa sensibilité et culture. C'est comme une toile de maître, on la regarde différemment à chaque fois qu'elle se trouve devant nos yeux, en découvrant de nouveaux détails où en modifiant la perception de l'image et des événements.


Stanley Kubrick est passé maître dans l'art de laisser le spectateur se faire sa propre idée, en ne donnant pas toutes les réponses aux nombreuses questions que l'on se pose durant la séance. Cette manière de procéder peut rebuter ou séduire, c'est selon sa capacité à s'immerger dans ses différentes œuvres. Il sollicite notre esprit en le stimulant par la beauté de sa mise en scène, de ses nombreux plans-séquences ou sa mise en abîme de cet homme sombrant dans la folie.


En adaptant le roman homonyme de Stephen King, il fait sa première et unique incursion dans l'épouvante. Avec la scénariste Diane Johnson, ils vont se réapproprier l'intrigue et la remodeler selon leurs exigences. Ils gomment le superflu et sa psychologie de comptoir, en se concentrant sur l’hôtel Overlook et son passé. Le lieu est le personnage principal et vit à travers le personnage de Jack Torrance (Jack Nicholson), une continuité dans son extermination de toutes traces de vies dans ses alentours.
Il a été construit sur un cimetière indien et symbolise le génocide dont a été victime ce peuple. L'histoire des états-unis s'est faite dans le sang dont elle continue de s'abreuver, en menant des guerres loin de ses terres, mais laisse les siens se faire exterminer par une police se croyant au-dessus des lois et de ses habitants armés à la gâchette facile. La population afro-américaine est la première victime(cible) de ses "dérapages". Le racisme continue de gangrener la société américaine. La présidence de Barack Obama n'a pas vraiment modifié la mentalité de ses habitants. L'élection de Donald Trump confirme l'état de délabrement de ce pays, mais il en va de même de la plupart des nations, comme notre France. On pourrait croire que je m'égare, mais le cuistot de l'hôtel Dick Hallorann (Scatman Crothers) est vu comme un ennemi par les fantômes errant en ce lieu de débauche et luxure. Son don n'est pas étranger à son statut auprès d'eux, mais on ressent aussi que sa couleur de peau est une anomalie par le biais d'une conversation où Delbert Grady (Philip Stone) va parler de lui en utilisant le nword avec une pointe d'accent allemand, renvoyant à une période sombre de notre histoire, celle du nazisme. Mais pas seulement, car nous sommes toujours sur le sol américain et les immigrants venants de divers continents ont apporté avec eux, leurs cultures mais aussi leurs aversions envers l'autre, surtout s'il n'a pas la même religion et peau que lui. Le racisme, l'exploitation et la réappropriation des terres, mais aussi de la culture, est devenue une normalité dans un pays ne protégeant que certains de ses patriotes.


L'horreur n'est pas dû à des phénomènes paranormaux, mais à l'histoire de cette nation. Elle est juste une conséquence des actes menant à sa création. Lors de l'entretien au sein de l’hôtel, Jack Torrance découvre le massacre perpétré par un ancien gardien, mais ne semble pas être troublé par ce fait divers. Plus tard, alors qu'il emmène sa famille dans ce lieu qui va devenir leur demeure pour les cinq prochains mois, il raconte à son fils Danny (Danny Lloyd), une histoire s'étant déroulé lors de la ruée vers l'or et se terminant par le cannibalisme. Le mal est dans son sang, comme s'il avait été transmis au cours des précédents décennies. C'est L’ADN de ce pays et la violence est considérée comme normale.


Les visions de Danny sont dérangeantes, surtout pour un enfant. Les portes de l'ascenseur déversent un flot ininterrompu de sang, représentant celui des indiens, mais aussi de ceux qui ont péri au sein de l’hôtel. Cette vague sanguinolente semble aussi être un accès direct pour l'enfer. Le rouge est la couleur dominante au sein de l’hôtel. Wendy (Shelley Duvall) va en faire l'amer expérience en suivant un couloir où se côtoie le rouge et le noir, avant de se retrouver face à un homme souriant et levant un verre en son honneur, comme s'il était chargé de lui ouvrir les portes de l'enfer. Danny fera aussi une rencontre désobligeante au détour d'un couloir, mais aussi en laissant sa curiosité prendre le dessus au sujet de la fameuse chambre 237. Son père va aussi en faire la douloureuse expérience et chacun va en subir les conséquences. Ils ont chacun commis un péché, dû à leur statut d'enfant et d'homme. On peut excuser le premier, mais le second avait déjà montré des signes inquiétants d'instabilité psychologique. Son regard se perdait sur les employées quittant l’hôtel lors de leur arrivée. Il traite sa femme avec condescendance et fait preuve de sarcasmes dès qu'il discute avec elle. C'est un écrivain raté et frustré de ne pouvoir subvenir convenablement à sa famille. Il se sent émasculé par sa femme, devant composé avec ses humeurs. Sa violence est contenue, mais on sent qu'elle peut exploser à tout moment, il suffit juste d'une étincelle.


L'horreur s'insinue doucement dans l'esprit de Jack et du spectateur. Sa rencontre avec Lloyd (Joe Turkel) va être le début de sa descente aux enfers. Les face à face sont tous de grands moments, que ce soit avec Wendy ou Delbert. Jack Nicholson est l'incarnation du mal en devenir. Son visage exprime toute sa folie, en passant d'une émotion à une autre, en un fragment de seconde. Il finit toujours par un sourire, mais pas des plus bienveillants. Il cite le grand méchant loup s'en prenant à la maison des trois petits cochons. Les comptines enfantines sont bien présentes dans cet enfer avec Danny arborant un pull Disney. Son surnom est Doc, il provient de la fameuse réplique de Bugs Bunny : What's up Doc? Mais on ne peut s'empêcher de penser aussi au Coyote poursuivant Bip-Bip, en voulant l'attraper par tout les moyens. Les peurs enfantines nourrissent l'imagerie populaire et le croquemitaine a différents aspects.


En venant s'installer dans cet hôtel, la famille était déjà dans un équilibre psychologique instable. Le drame semblait inévitable, même sans la présence de fantômes. Le plan final remet divers événements en question et surtout le cas de Jack. Dick Hallorann avait signifié à Danny que les visions ne sont que des images, hors après sa visite de la chambre 237, il en ressort avec des blessures physiques, sauf qu'on assiste pas à cette agression. On doit accepter sa version, qui va générer un drame et sa conséquence va avoir des répercussions dramatiques. L'enfant a-t'il menti ? Jack a-t'il toujours été là ? Ce que l'on voit, est-ce une incursion au coeur de l'esprit de Jack? Stanley Kubrick a choisi de nous montrer ce qu'il veut bien et à chaque question, une autre vient remettre en cause la réponse qu'on pense avoir découverte. Nous sommes comme dans un labyrinthe où on ne trouve pas la sortie, à force de vouloir démêler cette histoire terrifiante. Et si finalement, il n'existe aucune réponse appropriée et que tout ceci est juste le fruit d'un esprit retors, prenant plaisir à se jouer du spectateur.


Stanley Kubrick signe un film d'épouvante déconcertant. Il met l'horreur au cœur du réel et jette le spectateur au sein de la folie de Jack Torrance, pour mieux nous perdre. On flirte aussi avec cette folie, en sollicitant nos neurones pour tenter de comprendre ce qui se déroule devant nos yeux. On a le choix de détourner le regard, d'être comme Danny en se recroquevillant sur nous-même, où de laisser la peur nous envahir, avant de se révolter pour sauver cet enfant dont le don ressemble plus à une malédiction. De la mise en scène, en passant par le jeu des acteurs et à l'atmosphère angoissante, Shining est un sommet du genre dans lequel on ne peut pas vraiment l'enfermer. Le drame est tout aussi éprouvant, tout comme l'histoire de cette nation, de l’hôtel et de ses fantômes se vautrant dans les nombreux péchés que nous offre cette terre.

easy2fly
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le 23 nov. 2016

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Laurent Doe

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