Un peu de subversion, beaucoup de poncifs

La « romance rurale gay » n’est pas a priori un genre qui m’intéresse beaucoup : la combinaison des trois éléments a tendance à saturer le récit en clichés et à l’alourdir de pathos.


Pourtant, les deux premiers plans du film annoncent quelque chose de différent : à un très long premier plan fixe focale courte d’un corps de ferme que l’on devine vétuste au crépuscule (en bref : c’est pas la joie) succède un plan mouvementé en locale longue sur le dos nu d’un type qui vomit. Le contraste réveille, secoue : le film semble promettre de subvertir les lois des genres qu’il convoque, de se montrer plus « trash » que prévu.


La promesse est plutôt tenue pendant le premier tiers du film.
Le film joue la subversion tout au collant à son sujet. Par exemple, le film montre beaucoup de vaches et de brebis mettre bas : images forcément organiques et auxquelles une large partie du public n’est pas habitué. Ce même public n’est pas non plus habitué à assister à l’équarrissage d’un cadavre d’un agneau pour servir de sa peau comme d’une couverture pour un agneau fragile mais encore vivant. Ainsi, le film commence de manière inattendue par montrer crûment la réalité du travail d’élever, de faire preuve de vérité sur le sujet qu’il filme.
D’ailleurs, ce désir de vérité s’incarne aussi dans les relations entre les personnages : la condescendance du jeune éleveur et de ces grands parents vis-à-vis de leur saisonnier roumain n’est pas politiquement correcte, et montre l’aigreur des « petits » méprisés par la société qui n’hésitent pas à mépriser ceux qui sont encore plus petits qu’eux.
La vérité du désir, enfin : là, je trouve le film moins convaincant, puisqu’il s’agit de


pratiquer la sodomie avec des inconnus dans des toilettes, et de se rouler dans la boue en faisant l’amour


. Ceci dit, l’évolution des pratiques sexuelles du personnage principal symbolise bien sa trajectoire : d’abord l’errance, puis le bonheur. Un symbolisme tout de même un peu lourd, quand les deux amants traversent littéralement les flammes (du désir, donc) et quand le saisonnier roumain embrasse très christiquement la plaie du fermier.


Mais le film retrouve bien vite des chemins plus balisés, et la suite du film, qui contraste avec l’inventivité et la subversion du début, est hélas convenue et déçoit : les amants se disputent, la famille se disputent, mais le film tend bien sûr vers un état de réconciliation générale. Pas grand-chose n’a été dérangé, tout s’arrange ; tout est bien qui finit bien.


Mais le film n’est pas mauvais, et ceux qui auront de voir une romance rurale gay sans surprise en auront pour leur argent.

TomCluzeau
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le 16 déc. 2017

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Tom Cluzeau

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