À voir les dernières réalisations de Frankenheimer, et notamment les très dispensables "The Island of Dr. Moreau" et "Ronin", on en viendrait presque à oublier une première partie de carrière couronnée de succès et au sein de laquelle on trouve l'excellent "Seven Days in May". Il serait pourtant bien regrettable de délaisser ce film délicieusement âpre et tendu, au casting quatre étoiles, et dont le scénario rappelle quelque peu "Fail Safe", le chef-d'œuvre de Lumet.



"Seven Days in May" a beau être un film de politique fiction (l'histoire étant censée se dérouler dans un futur proche), il n'en demeure pas moins profondément ancré dans son époque, avec un propos faisant brillamment écho à l'actualité brûlante des États-Unis (sentiment d'insécurité vis-à-vis de la menace communiste, paranoïa accrue à la sortie du maccarthysme, division du pays concernant l'engagement au Vietnam). Un film qu'il faut recontextualiser pour pouvoir apprécier la pertinence, ou l'impertinence, de cette immense partie d'échecs mise en scène par Frankenheimer ; même si la force du propos réside bien évidemment dans sa dimension atemporelle... et ce n'est pas l'actualité, plus ou moins récente, des USA qui viendra me contredire sur ce sujet.



Mais avant toutes choses, "Seven Days in May" marque la rencontre entre deux hommes, un réalisateur et un scénariste, dont les talents vont s'avérer être parfaitement complémentaires. Ainsi, le style sec et direct de Frankenheimer va admirablement servir le scénario concocté par le papa de "The Twilight Zone", Rod Serling dont on retrouve la patte caractéristique. Ainsi la mise en scène sans fioritures va permettre d'aller directement à l'essentiel et de développer finement le thème de la paranoïa. En fait, seul un court passage concernant l'histoire d'amour entre les personnages tenus par Ava Gardner et Kirk Douglas va venir, brièvement, détourner l'attention du spectateur. Mais excepté cet interlude romantique, le reste du film sera une brillante représentation de la folie ou de la schizophrénie qui gagne le pays : faut-il continuer l'escalade militaire ou rechercher la paix ? Voilà une dualité qui est parfaitement symbolisée dès le préambule puisqu'on y voit deux manifestations (l'une pour la paix et l'autre pour la guerre) se dérouler devant la Maison-Blanche, avant que tout cela ne dégénère en bagarre générale. Avant de développer son propos, Frankenheimer nous offre immédiatement une éloquente représentation de l'état d'esprit du pays : deux conceptions différentes s'affrontent pour un objectif commun, avec en toile de fond le devenir de la démocratie.




À voir ainsi exposer le propos du film, on pourrait craindre une histoire fortement moralisatrice, avec une opposition manichéenne entre de gentils pacifistes et d'horribles va-t-en-guerre. Fort heureusement, ce cas de figure est habilement évité grâce notamment à des personnages complexes et bien écrits. Ainsi, le général putschiste, incarné par Lancaster, n'est en rien la caricature d'un fou avide de guerre comme on peut le voir dans "Dr. Strangelove" par exemple. Non ici, le personnage est froid, calculateur et parfaitement conscient des risques encourus. C'est parce qu’il est sûr du bien-fondé de ses actes qu'il s'oppose à son président et non pas pour satisfaire une ambition personnelle. Ainsi, sur l'opposition entre ce fringant et populaire général et un président usé par le pouvoir (en ce sens très bien incarné par Fredric March), vient insidieusement se greffer le devenir de la démocratie. Finalement, les différents participants à cette partie d'échecs ne veulent que servir leur pays et la démocratie, mais cela justifie-t-il tous les comportements ? Ce dilemme est d'ailleurs très bien représenté dans le film par le personnage de Kirk Douglas. Le bonhomme a beau partager l'avis du général, il ne compte pas enfreindre les règles démocratiques et va devoir choisir une position contraire à ses convictions. Tout cela montre bien les nuances et la finesse d'un film qui va jouer sur les facettes des différents personnages, exaltant les attitudes ambiguës et les faux-semblants pour créer un redoutable climat de suspicion et une tension dramatique qui va trouver son apogée lors de l'affrontement final entre March et Lancaster.



Même si "Seven Days in May" paraît un peu trop bavard et moins intense que "Fail Safe", il demeure un remarquable film sur le climat paranoïaque, préfigurant les thrillers politiques des années à venir. La grande force du métrage réside dans son âpreté et son efficacité : à la manière d'une pièce de théâtre, l'histoire se passe dans des lieux restreints, renforçant ainsi la force des joutes verbales auxquelles se livrent les différents protagonistes. Et à ce petit jeu, les différents acteurs (Douglas, March, Edmond O'Brien et surtout Lancaster) se montrent très à l'aise, rendant le combat d'autant plus beau.

Procol Harum

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