Source d'inspiration des peintres de la Renaissance qui le transforment déjà en représentation homoérotique, le martyre de Saint Sébastien a depuis le XIXe siècle inspiré nombre d'artistes et d'écrivains. Marcel Proust, Oscar Wilde et plus tard Yukio Mishima ou Tennessee Williams (qui donne le prénom Sébastien au personnage disparu de Soudain l'été dernier) ont définitivement élevé le Saint Martyr au rang d'icône homosexuelle. Le film de Derek Jarman s'inscrit donc dans une tradition riche et entretenue, perpétuée depuis par les photographes Pierre et Gilles ou le cinéaste João Pedro Rodrigues.


Exilé sur ordre de Dioclétien, Sébastien (protégé de l'Empereur mais également Chrétien), se retrouve dans une garnison isolée dans un lieu désertique. L'oisiveté règne, les plaisanteries de corps de garde fusent et les quelques hommes présents, en manque de femmes, goûtent aux plaisirs interdits. Un sentiment amoureux mutuel naît entre Sébastien et Severus, le centurion qui dirige le camp. Mais alors que ce dernier aspire à une relation charnelle, le Chrétien lui oppose des sentiments purs et se refuse à lui. Sa fin sera tragique.


L'esthétique dépouillée du film n'en demeure pas moins très marquée formellement. Tourné en 1976, Sebastiane évoque autant Pasolini que certains Fellini, sans oublier celui avec lequel Derek Jarman a débuté, Ken Russel. Les corps dénudés (rappelant ceux des frères Ritter dans les années 30), rasés et brillants sous le soleil composent des tableaux à l'érotisme puissant : scènes de toilette ou de baignade, combats à l'épée ou à mains nues, étreintes viriles. Le lent glissement des liens amoureux de Sébastien et Severus vers une relation sadomasochiste, l'abandon de l'un à la souffrance, la fureur de l'autre le guidant vers la torture, constitue le cœur narratif d'un film par ailleurs très littéraire, les dialogues entièrement en latin lui conférant une identité unique.


Si la dimension politique de Sebastiane associant révolte et homosexualité semble moins évidente aujourd'hui, cette œuvre radicale n'en constitue pas moins le témoignage artistique d'une époque profondément marquée par les luttes homosexuelles. Superbement restauré, porté par la partition de Brian Eno, le premier long métrage de Derek Jarman continue de troubler les sens et les esprits.

pierreAfeu
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le 21 juin 2017

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