Scream, Matt Bettinelli-Olpin & Tyler Gilett, U.S.A, 2022, 1h54

En 1996, Wes Craven et Kevin Williamson venaient proposer une vision méta du slasher, un genre particulièrement populaire dans les années 1980, codifié directement par des cinéastes comme… Wes Craven. Mais au milieu des années 1990, le genre arrive en fin de vie, ce qui se traduit par un nombre de suites équivoques. « Halloween » en est à son sixième film, « Friday the 13 th » en est à son neuvième, « Freddy » à son septième, et la farandole se poursuit avec tout un tas d’autres suites et de franchises mineures. Autant dire que le genre ne fait plus vraiment rêver et s’est même parfois transformé en propre parodie de lui-même, par des conventions devenues clichées, qui ne surprennent plus personne.


Avec le premier « Scream », Wes Craven bousculait un peu tout ça pour redonner un coup de neuf à un genre presque vingtenaire, qui semblait ne plus rien avoir à offrir. Avec une démarche de « film dans le film », il venait brouiller les pistes de la réalité et de la fiction, en se jouant des codes pour mieux les réinventer. L’année suivante, en 1997, « Scream 2 » abordait la même thématique, mais en s’intéressant cette fois-ci à la notion de suite, en en faisant l’une des plus abouties (et fun) du cinéma hollywoodien. Pris par l’autoconscience de la nature méta de cette saga, Craven (sans Williamson) proposait une conclusion en 2000, en partant encore plus loin dans leurs réflexions. Cette fois-ci, le jeu de massacre prenait cœur directement sur les lieux de tournage de l’adaptation des meurtres débutés dans le premier film…


Puis, en 2011, Craven et Williamson reviennent avec un quatrième volet, ni vraiment attendu, ni vraiment voulu, mais qui avait le mérite de véhiculer un propos solide. Les personnages principaux de la saga y apparaissent vieillis et blasés, face à une nouvelle génération, dans un monde nouveau, ou « Scream » à toujours sa place. La réflexion se déplaçait alors du film d’horreur, pour épouser d’avantage les effets du boom technologique, ayant eu lieu après le troisième opus, sur la société. « Scream 4 » composait une œuvre sympathique, qui le reste d’ailleurs, et un véritable plaisir d’amateur d’horreur au cinéma. Ce sera là le film final de Craven, parti retrouver Freddy Krueger et Billy Loomis en 2015, mais ce ne serait pas les derniers crimes du Ghostface.


Une série TV plus tard ( 2015 – 2019), et voilà que revient sur les écrans de cinéma une nouvelle incursion à Woodsboro, et le retour du tueur au masque de fantôme. Réalisé et écrit par d’autres personnes que Wes Craven et Kevin Williamson, c’est un peu comme si la saga venait de tomber dans le domaine public, accessible à quiconque voudrait raconter sa petite histoire dans cet univers. Cependant, ce « Scream » de 2022, qui porte le même titre que le « Scream » original, ne se veut pas une production gratuite, venue surfer sur le succès d’une saga vielle de 26 ans. Elle souhaite bien raconter quelque chose, en particulier sur le cinéma moderne et pas seulement horrifique.


Sous une apologie de la redondance, ce nouveau volet témoigne de la panne que connaît actuellement le cinéma mainstream hollywoodien, qui peine dramatiquement à se renouveler. Depuis quelques années, la mode est à la nostalgie, avec des productions comme « Star Wars », qui font revenir des casts originaux, avec 40 ans de plus dans la gueule. Dans le slasher, « Halloween » proposait ainsi en 2019 une sorte de suite hors du temps, incluant une actrice du premier film. Les titres sont réutilisés, comme s’ils venaient effacer l’héritage de saga, en assumant partiellement leur nature de suite. Nous ne sommes plus dans l’ère de la sequel, du remake et du prequel, Hollywood est désormais entré dans l’ère du requel, où l’art de (re)faire du neuf avec du vieux.


« Scream » cuvé 2022 est un objet un peu étrange, puisque plus que les films de Wes Craven, il essaye de dénoncer une dérive, d’avantage que l’épuisement d’un genre. Son problème majeur réside ainsi dans une dénonciation qui va à l’encontre même de sa propre existence. Ce qui pourrait sembler ironique, voir malin, se transforme rapidement en une vision cynique du cinéma, à laquelle ce film participe. Les personnages réfléchissent tellement sur un mode cinématographique, bien plus que dans les premiers, qu’au final ils passent leurs temps à commenter ce qu’il se déroule à l’écran. Si parfois c’est marrant, et même réussi à plus d’une reprise, sur 2h c’est un peu beaucoup, puisque toute surprise est sans cesse désamorcée.


Dès le départ, il est facile de deviner qui va s’en sortir et qui va y rester, le scénario ne produit même pas l’effort de brouiller les pistes. Mais pires que tout, les personnages donnent les réponses sur ce que le film va proposer. Si la séquence finale s’avère amusante, puisque le/la/les tueurs et les victimes semblent totalement conscients d’être des codifications, il y a sans cesse une certaine gêne qui empêche de prendre un véritable plaisir. Le métrage se révèle assez fainéant, et ne possède pas la profondeur de réflexion de Kevin Williamson (seulement producteur sur le projet). Dès lors, l’effort se montre un peu vain, et si le film propose toutefois des séquences admirables, il en réserve aussi un bon paquet de parodiques.


Le retour du casting original fait plaisir, même si Courtney Cox est totalement défigurée, et ne ressemble plus tellement à Courtney Cox, il est vraiment sympa de retrouver ce trio pour une ultime (?) réunion. Les meilleures séquences se révèlent d’ailleurs celles qui jouent le plus sur l’alchimie entre ces personnages, quand les plus mauvaises résident dans celles qui essayent de surfer sur une forme de nostalgie à deux balles (qui paradoxalement fonctionne par elle-même). Le film s’apparente parfois à une espèce de soap opera cliché, sans envergure, au cœur d’une petite production horrifique agrémentée de moments gores particulièrement réussis. En même temps, le tout ressemble à un objet doudou pour les vieux et un divertissement qui se veut moderne pour les nouvelles générations.


Le problème principal de ce « Scream », mal réalisé mais qui dans l’ensemble se révèle tout de même plutôt fun, est qu’il ne sait jamais sur quel pied danser. À trop vouloir se situer dans la référence, tout en souhaitant s’en démarquer en façade, le métrage cherche avec maladresse à faire le tour d’une problématique qui ronge actuellement la production hollywoodienne, sans parvenir à proposer un slasher original. L’idée du film dans le film prend ici la direction du film dans le film du film (dans cet ordre), amusant sur le papier, et même sur deux ou trois scènes, sur deux heures de temps à l’écran ça pèche un peu.


Loin d’un ratage complet, et plutôt sympathique sur de multiples points, « Scream » peine à convaincre totalement, surtout à cause de sa démarche qui frise l’arrogance. En effet, l’un des propos du film souhaite pointer la multiplication des suites sans saveurs des grandes sagas horrifiques, qui se perdent dans des scénarios absurdes, au détriment du respect des fans, dans une logique de pure exploitation. Or, c’est exactement ce que fait ce « Scream » (qui n’assume pas son numéro), cinquième volet d’une saga bientôt trentenaire, qui en vient à dénoncer sa propre existence par une démarche un tantinet hypocrite.


Néanmoins, là où il marque un point, c’est dans sa représentation du Ghostface, l’un des tueurs de slashers des plus iconiques et des plus meurtriers. Pourtant, Ghostface n’est pas une seule personne, sur les cinq films (sans compter la série), près de dix tueur.ses se sont succédés derrière son masque, qui ils sont importe peu car le symbole subsiste à leur trépas. Le plus troublant reste que dans le vrai monde de la réalité vraie, des meurtres ont eu lieu, de la main de déséquilibres portant le fameux masque. Cela fait que Ghostface est un meurtrier aussi prolifique à l’écran qu’au-delà, rejoignant, involontairement, toute la dimension métaphysique de l’œuvre de Wes Craven. En ce sens, ce cinquième volet ne déroge pas à la règle, et utilise avec respect l’héritage de la saga, même si la réflexion aurait mérité d’être un peu plus poussée et mieux structurée pour être plus efficace. Pour ne pas donner cette impression permanente que le film se moque de son audience, sans parvenir à dépasser son statut de blague vaguement satirique.


-Stork._

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le 21 févr. 2022

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